Karim Renno

Loyal certes, mais combien de temps?

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Karim Renno

2012-09-25 14:15:00

Même renvoyés, les ex-employés d'une entreprise ont un devoir de loyauté envers celle-ci. Mais quelle est la durée de cette obligation ? Jurisprudence à l'appui, Karim Renno répond à cette question.
Même en l'absence de clauses de non-concurrence et de non-sollicitation, le législateur québécois, à l’article 2088 C.c.Q., a prévu que les ex-employés d'une entreprise restent liés par leur devoir de loyauté envers celle-ci pendant une certaine période de temps. Deux questions majeures se posent presque toujours : (a) quel est le contenu de ce devoir de loyauté et (b) quelle est sa durée. La première de ces questions devra attendre une autre chronique, puisque c’est la deuxième qui m’intéresse particulièrement aujourd’hui.

Le jeune super plaideur Karim Renno revient sur la durée du devoir de loyauté
Le jeune super plaideur Karim Renno revient sur la durée du devoir de loyauté
La Cour d’appel, dans l’affaire 9129-3845 ''Québec Inc.'' c. ''Dion'' (2012 QCCA 1276), a récemment eu l’opportunité de réitérer que la durée du devoir de loyauté d’un ex-employé, bien que ne répondant pas à une formule mathématique précise, ne pouvait excéder quelques mois.

Ayant découverte que deux anciens employés de son entreprise ont formé, organisé et développé leur nouvelle entreprise alors qu'ils étaient toujours à son emploi qu'ils ont commencé à contacter des clients pendant la même période, la Demanderesse recherche une ordonnance par laquelle il sera prohibé pour ses anciens employés et à la société par actions qu'ils ont formée d’effectuer de travail pour les six principaux clients qu'elle dessert et de les solliciter.

Le juge de première instance donne gain de cause à la Demanderesse, en venant à la conclusion que ses anciens employés ont agi de manière déloyale. Il rend donc une ordonnance valide pour une période de trois mois suivant le départ des employés en question. Insatisfaite de ce jugement, la Demanderesse s'adresse à la Cour d'appel pour demander que le jugement soit réformé quant à la durée de l'ordonnance, plaidant qu'un délai de 15 mois serait plus approprié.

Malheureusement pour la Demanderesse, la Cour n'accepte pas cette prétention. La Cour souligne que le devoir de loyauté n'a qu'une durée de quelques mois, que sa détermination exacte relève de la discrétion du juge de première instance et, finalement, que le délai proposé par l'Appelante (15 mois) est manifestement erroné. Ce faisant, la Cour cite avec approbation l’énoncé de principe suivant formulé par l’Honorable juge Marie-France Bich dans une décision préalable (''Concentrés scientifiques Bélisle inc.'' c. ''Lyrco Nutrition inc.'', 2007 QCCA 676): enfin, le devoir de loyauté post-contractuel ne dure qu'un temps, celui d'un « délai raisonnable », comme le dit l'article 2088 C.c.Q. Là encore, la jurisprudence est assez réservée : la durée de l'obligation de loyauté postcontractuelle dépend des circonstances de chaque espèce, mais elle dépasse rarement quelques mois. Il peut y avoir des cas exceptionnels, mais ils sont, justement, exceptionnels et doivent le rester si l'on ne veut pas indûment limiter le principe de concurrence qui régit notre société et avantager les employeurs au détriment des salariés. Après l'expiration de ce délai raisonnable, l'ex-salarié n'est plus assujetti qu'aux règles ordinaires applicables à la concurrence (en vertu de l'article 1457 C.c.Q.).

Il existe par ailleurs certains facteurs qui peuvent influer sur la durée de ce devoir, tel le poste occupé au sein d’une entreprise. Sans en faire une liste exhaustive, nous notons deux de ces facteurs qui ont fait l’objet de décisions récentes.

D’abord, dans 9119-1452 ''Québec Inc.'' c. ''Maltais'' (2012 QCCS 4236), le juge Martin Dallaire indique que la durée du devoir de loyauté est non seulement limitée, mais qu'elle dépend en partie de la durée de l'emploi de l’ex-employé au sein de l’entreprise demanderesse.

Finalement, dans 9109-0068 ''Québec inc.'' c. ''Lambert'' (2012 QCCS 3630), le juge Pierre-C. Gagnon indique que, lorsque la preuve démontre que l’employeur manque à ses propres obligations et justifie en quelque sorte le comportement déloyal de l’employé, alors la durée du devoir de loyauté sera réduite et l’intensité de celui-ci atténuée.

L’on constate donc qu’il est difficile, même impossible, de prévoir avec précision quel sera la durée imposée par les tribunaux pour le devoir de loyauté. On retiendra, par ailleurs, que celle-ci, hormis circonstances très exceptionnelles, n’accédera pas quelques mois.


Sur l'auteur:
Karim Renno est associé dans le cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.
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