Karim Renno

Une épuration excessive ?

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Karim Renno

2015-01-07 14:15:00

La Cour d’appel peut-elle rejeter un appel de plein droit parce que l'enjeu du litige n'est pas suffisant ? Me Karim Renno nous éclaire avec une décision récente...
Le jeune super plaideur Karim Renno
Le jeune super plaideur Karim Renno
Ceux qui suivent comme moi de près les décisions rendues par la Cour d'appel sur les requêtes en rejet d'appel auront remarqué une tendance assez évidente à l'élargissement de la portée de l'article 501 (4.1) C.p.c.

En effet, alors que le législateur prévoit que seul le pourvoi qui ne « présente aucune chance raisonnable de succès » peut être rejeté sans audition de l'appel au mérite, on voit maintenant beaucoup de décisions comme celle rendue dans Whissell c.Magnan (2014 QCCA 2340) où la Cour rejette un appel pour des raisons qui ont beaucoup plus trait à la proportionnalité.

Dans cette affaire, l'Appelant se pourvoit de plein droit à l'encontre d'un jugement de première instance qui a rejeté son recours en dommages au montant de 55 162,40 dollars et accueilli la demande reconventionnelle de l'Intimée au montant de 19 511,26 dollars avec dépens.

L'Intimée présente une requête en rejet d'appel dans laquelle elle invoque les paragraphes 4.1 (aucune chance raisonnable de succès) et 5 (appel abusif ou dilatoire) de l'article 501.

Dans leur jugement rejetant le pourvoi, les Honorables juges Morissette, Bich et St-Pierre ne traitent pas du caractère supposément abusif ou dilatoire de l'appel, mais rejettent tout de même l'appel pour les raisons suivantes:

(1) En ce qui concerne l’action de l’appelant contre l’intimée, l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. L’inscription ne fait voir en effet aucune erreur manifeste et déterminante dans le jugement de première instance ni d'erreur potentielle méritant que la Cour se penche plus avant sur les questions soulevées. Le pourvoi constitue tout bonnement une demande de reprendre le procès afin que la Cour substitue son opinion à celle du juge De Michele. Rien ne justifie que cette démarche soit ici entreprise.

(2) En ce qui concerne l’appel relatif à la demande reconventionnelle, les moyens soulevés et le montant en jeu ne justifient pas de laisser cheminer le pourvoi.

On constate du paragraphe 2 du jugement que la Cour ne rejette pas l'appel sur la demande reconventionnelle parce qu'il n'a aucune chance raisonnable de succès comme elle le fait pour l'action principale. Il s'agit plutôt d'un enjeu qui ne mérite pas l'attention de la Cour.

Or, respectueusement, cette façon de faire de la Cour d'appel (qui est maintenant monnaie courante) contredit expressément l'intention du législateur sur la question. En effet, si un juge unique de la Cour doit s'assurer qu'une permission d'en appeler n'est accordée que lorsque la question en est une d'intérêt, de principe ou d'importance en vertu des articles 26 (pour les jugements finaux) et 511 (pour les jugements interlocutoires) du Code de procédure civile, il n'en est rien pour les appels de plein droit.

Dans le cadre de ces derniers, le législateur ne donne pas à la Cour la possibilité de rejeter un appel parce que l'enjeu n'est pas suffisant ou la question pas d'intérêt. Cette épuration par la Cour de ses rôles me semble donc incorrecte, d'autant plus que l'affaire citée ici est loin d'être un cas isolé.

Si l'objectif de la Cour peut certainement paraître louable à première vue, je ne pense pas qu'il en vaut la chandelle. La perte, pour une partie, de son droit d'appel de plein droit dévolu par le législateur pour des questions de proportionnalité est une conséquence drastique et finale.

C'est au législateur, et non à la Cour, de prévoir les cas où un appel de plein droit pourra être rejeté sans audition. À ce chapitre, il est intéressant de noter que non seulement la volonté du législateur semble claire à l'effet que la proportionnalité n'est pas présentement motif de rejet, mais l'article 365 du nouveau Code de procédure civile n'acceptera pas non plus la proportionnalité comme un tel motif.

Avec égards, je pense que la Cour d'appel excède ses pouvoirs en rejetant des appels sans conclure qu'ils n'ont aucune chance raisonnable de succès.

''Karim Renno est associé dans le cabinet Irving Mitchell Kalichman s.e.n.c.r.l. Il est le fondateur et rédacteur en chef du blogue juridique À bon droit où il publie quotidiennement des billets de jurisprudence.''
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2 commentaires
  1. krsp
    franc-parler
    Bravo pour votre travail et votre franc-parler.

    À bon droit est maintenant rendu pour moi un incontournable dans ma recherche doctrinale et jurisprudentielle.

    J'espères que vous allez finir par vous faire créditer vos heures par le barreau!!!

  2. Karim
    Karim
    il y a 9 ans
    re: franc-parler
    Cher krsp,

    J'apprécie votre commentaire. Merci beaucoup.

    Karim Renno

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