La loi du dragon

Rene Lewandowski
2008-05-02 10:00:00
Une réputation certes méritée et accentuée par la faiblesse du système de justice chinois. Lois archaïques, tribunaux incompétents, culture de résistance à l'égard de la propriété intellectuelle, lourdeurs administratives... la justice chinoise est incapable, selon bien des investisseurs étrangers, de protéger convenablement la propriété privée.
Et pourtant...
Oui, pourtant, cela est moins connu, tout cela est en train de changer radicalement depuis que le gouvernement chinois a décidé de contrer ce fléau par la mise en oeuvre de diverses mesures. En 2002, Pékin a ainsi modifié la Loi sur la propriété intellectuelle, amendement qui permet aujourd'hui à toute personne ou entreprise d'obtenir une injonction préliminaire à l'encontre, par exemple, d'une usine de contrefaçon. On peut donc désormais saisir des biens que l'on croit contrefaits, sceller l'usine et préserver toutes preuves qui serviront à un éventuel procès.
"Avant cet amendement, il fallait attendre le procès et ça n'aboutissait jamais", dit Jérôme Beaugrand-Champagne. Cet avocat québécois de 32 ans est installé en Chine depuis 1999, où il a obtenu un diplôme en droit chinois. Il vient tout juste de se joindre au bureau de Pékin de Baker&McKenzie, cabinet américain avec des antennes un peu partout dans le monde, dont en Asie où la firme est reconnue comme un chef de file en propriété intellectuelle.
Selon lui, la Chine a fait des progrès énormes en cinq ans en matière de protection de propriété intellectuelle. "Les juges chinois sont plus compétents et cela se reflète dans la qualité des jugements", dit-il.
Plus de 850 000 brevets!
Il faut dire que le gouvernement a mis le paquet. Depuis 2001, Pékin a ouvert une cinquantaine de cours de justice, juste pour traiter de causes de propriété intellectuelle. Du coup, le nombre d'enregistrements de marques de commerce en Chine a augmenté de 60% en cinq ans. Mieux, le nombre de brevets a presque doublé pour atteindre aujourd'hui 850 000, rapporte The Economist, tout comme le nombre de poursuites en propriété intellectuelle.
Qui en profite? Bien que les entreprises victimes de contrefaçon ont plus de moyens que jadis pour se défendre, les dommages infligés aux fraudeurs sont encore minimes, comparés aux normes nord-américaines. Car les dommages statutaires maximums sont limités à environ 80 000$US pour un individu ou une entreprise reconnue coupable de contrefaçon. C'est peu, mais Jérôme Beaugrand-Champagne souligne que les fautifs sont souvent de petites entreprises, pour qui une telle amende est un gros coup porté à leurs finances.
En Amérique du Nord, la plupart des causes de violation de propriété intellectuelle se règlent hors cour, les entreprises préférant négocier plutôt que de prendre le risque d'avoir à verser de gros dommages. En Chine, parce que les amendes sont relativement minimes, les entreprises vont généralement jusqu'au bout, d'autant plus que les frais judiciaires sont moins élevés.
3 millions en salaire
Pas étonnant, donc, que les plus grands bénéficiaires de l'amélioration du système de justice chinois soient les avocats. Certains juristes chinois spécialisés en propriété intellectuelle peuvent facturer en honoraires jusqu'à 5 millions US annuellement. Et plusieurs empochent en salaire jusqu'à 3 millions de dollars par année, confirme Jérôme Beaugrand-Champagne.
Une entreprise victime de contrefaçon peut passer par le système de justice ou encore faire appel aux autorités locales pour y faire appliquer des "mesures administratives". C'est d'ailleurs ce que recommande Jérôme Beaugrand-Champagne. "C'est encore plus rapide", dit-il.
Ces mesures consistent à faire cesser la contrefaçon en envoyant la police locale faire un raid. C'est rapide, moins coûteux et généralement assez efficace. Seul problème, il n'y a aucune pénalité imposée aux présumés pirates. Pour faire appliquer ces mesures, il faut toutefois passer par un cabinet d'avocats chinois.
Caroline Bérubé, avocate québécoise aussi installée en Chine depuis quelques années, a testé à quelques reprises ce système pour le compte de ses clients. Et elle le confirme, ça fonctionne bien. "Pour l'instant, je n'ai pas encore perdu une cause", dit-elle.
L'an dernier, par exemple, un client, fabricant de peinture européen, s'est aperçu que de faux pots de peintures garnissaient les étalages d'une chaîne de quincaillerie chinoise. Caroline Bérubé a alors acheté un faux pot, conservé la facture, puis, par l'entremise d'un cabinet d'avocats chinois, a remis le dossier aux autorités locales. Quelques semaines plus tard, la police faisait un raid dans tous les magasins de ce Home Depot chinois. Et saisissait assez de faux pots pour remplir tout un conteneur!