La Presse

Les avocats, la politique... et la réserve

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Rene Lewandowski

2010-02-26 10:15:00

Les cabinets d'avocats aiment bien les politiciens. Ils aiment moins la politique. Ce n'est pas bon pour les affaires...
Depuis qu'il a quitté la politique et ses fonctions de premier ministre du Québec, Lucien Bouchard a fait peu de déclarations publiques. On comprend facilement la prudence de l'ancien politicien, puisque, chaque fois ou presque qu'il ouvre la bouche publiquement, ses déclarations provoquent un quasi-tsunami médiatique.

C'est encore arrivé la semaine dernière, lorsqu'il a déclaré que la souveraineté n'était pas réalisable à court terme et qu'il a reproché à son ancien parti de s'être radicalisé sur la question identitaire. Pendant des jours, les médias en ont fait leurs choix gras et, partout au Québec, on ne parlait que de ça. Partout, sauf dans le cabinet d'avocats où pratique Lucien Bouchard.

Chez Davies Ward Phillips & Vineberg, où Lucien Bouchard est associé depuis 2001, on a à peine effleuré la chose, du moins en public. Et en privé, on en a fait peu de cas, semble-t-il. Son patron, l'associé directeur du bureau de Montréal, Pierre-André Themens, lui a simplement glissé cette légère remarque en le croisant au bureau: «Hé, Lucien, tu fais les manchettes cette semaine!»

Dans le fond, chez Davies, on ne se préoccupe pas tellement des écarts oratoires de Lucien Bouchard. Du moment qu'ils sont rarissimes et espacés dans le temps, on les tolère sans problème. S'ils devenaient une habitude, là, on s'en soucierait probablement davantage.

Devoir de réserve... au cabinet!

Depuis bientôt 10 ans, Lucien Bouchard a souvent invoqué son devoir de réserve pour justifier son absence des grands débats publics et politiques. Mais à qui doit-il cette réserve? On a tous pensé, les médias inclus, que c'est par souci de ne pas importuner ses anciens amis politiciens qu'il a toujours refusé de se transformer en belle-mère. C'est sûrement vrai. Mais, en gardant le silence, Lucien Bouchard protège également son cabinet et ses clients.

Comme organisations, c'est bien connu, les grands cabinets d'avocats ne sont pas friands de politique. C'est compréhensible, ils sont là pour faire des affaires et facturer des honoraires. Or, ils représentent toutes sortes de clients aux allégeances souvent opposées. S'il fallait que leurs avocats, leurs meilleurs de surcroît, se retrouvent toutes les semaines sur la place publique à donner leur opinion et attiser la controverse, le boulot deviendrait très vite ingérable. Et certains clients ne se gêneraient pas pour le leur reprocher.

Non à la politique, oui aux politiciens!

S'ils fuient la politique, les grands bureaux aiment bien en revanche les politiciens. Les actuels, parce qu'ils ont un pouvoir de décision et, bien sûr, les anciens, certains parce qu'ils sont de très bons avocats, d'autres pour leur pouvoir d'influence. On ne compte plus d'ailleurs les ex-politiciens recrutés par les cabinets: Brian Mulroney, chez Ogilvy Renault, Jean Chrétien et Pierre Marc Johnson, chez Heenan Blaikie, Daniel Johnson, chez McCarthy Tétrault.

Soyons francs, ces dernières années, on n'a pas entendu souvent ces anciens premiers ministres s'égosiller sur la place publique. Par contre, on ne peut pas en dire autant de certains de leurs ex-collègues ou adversaires politiques non embauchés, eux, par des cabinets d'avocats. Bernard Landry, Jacques Parizeau, Jean Lapierre et d'autres ne manquent jamais l'occasion de se délier la langue sur des sujets chauds. Sont-ils plus belles-mères que les autres? Ou se sentent-ils plus libres de leurs opinions?

Question de culture

Bien sûr, chaque cabinet a sa culture propre. Certains sont plus tolérants que d'autres. Chez quelques-uns, on encourage même le militantisme politique, perçu comme de l'engagement dans la communauté, toujours bien vu par le marketing. Chez McCarthy Tétrault, par exemple, Marc-André Blanchard a pu diriger pendant plusieurs années le bureau de Montréal, tout en occupant les fonctions de président du parti libéral du Québec.

Proche de Jean Charest - il ne s'en est jamais caché -, il a toujours pu s'afficher sans problème comme un libéral. S'il avait été péquiste, aurait-il eu la même liberté? Probablement, bien que ce soit un secret de polichinelle qu'on retrouve bien plus d'avocats fédéralistes que de souverainistes dans les grands bureaux.

Il n'empêche que, même péquiste, on peut s'afficher et militer tout en pratiquant dans un grand bureau pancanadien. Éric Bédard en est un bel exemple. Cet associé chez Fasken Martineau, membre du conseil d'administration du cabinet, milite depuis des années au Parti québécois. Il fut entre autres l'organisateur de la campagne électorale de l'ancien chef André Boisclair. Jamais, dit-il, un associé ou dirigeant du cabinet ne lui a reproché son implication politique. «C'est une question de jugement, explique-t-il. Les cabinets ne fuient pas la politique. Ce qu'ils fuient, c'est la controverse.»
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