La Presse

Mon meilleur ennemi

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Rene Lewandowski

2010-03-05 10:15:00

Ennemis hier, Bombardier et Stikeman Elliott sont devenus les meilleurs amis du monde. Une relation d'affaires qui soulève des questions de stratégie et d'éthique.
En politique, c'est bien connu, il est bon de garder ses amis près de soi, et ses ennemis encore plus près. En affaires, la stratégie est moins évidente, mais peut-être que certains dirigeants devraient l'appliquer de temps à autre. En tout cas, chez Bombardier, les avocats du contentieux semblent avoir compris le principe. Car depuis quelque temps, ils se sont rapprochés d'un grand cabinet d'avocats qui, il n'y a pas si longtemps encore, leur causait bien des soucis.

Au cours des deux dernières années, le contentieux du constructeur d'avions et de trains a en effet confié trois dossiers de litige à Stikeman Elliott. Les litiges opposent Bombardier à des clients de son jet d'affaires le Global Express. Pour ceux qui suivent de loin le milieu juridique, que Bombardier soit représentée par un cabinet ou un autre a peu d'importance. Après tout, il va de soi qu'une grande entreprise confie des mandats à un grand cabinet d'avocats. Mais pour ceux qui connaissent la ''game'', c'est une nouvelle, disons-le sans trop d'insistance, stupéfiante.

Depuis des décennies, le cabinet d'avocats "attitré" de Bombardier est Ogilvy Renault. Pour les affaires de litiges, de financement ou les grandes transactions, Ogilvy a toujours reçu la grosse part des mandats juridiques. C'est encore vrai aujourd'hui. Ce lien étroit n'a toutefois jamais empêché Bombardier de confier, de temps en temps, des mandats à d'autres cabinets, pour des dossiers spécifiques ou lors de conflits d'intérêts. Ce qu'il y a d'étonnant dans cette nouvelle n'est donc pas le fait que Bombardier ait décidé d'aller voir ailleurs. Non, ce qu'il y a vraiment de surprenant, c'est que Bombardier ait choisi Stikeman.

Une première

En 25 ans - et peut-être plus - c'est la première fois que Bombardier confie un mandat juridique à ce cabinet. Et au cours des dernières années, dans plusieurs affaires litigieuses, les avocats de Stikeman ont représenté les parties adverses. Dans le litige opposant Alstom à la Société de transport de Montréal (STM) - dans lequel Bombardier était mise en cause -, le constructeur français avait choisi les avocats de Stikeman pour le représenter, décision judicieuse puisqu'ils ont gagné en cour, faisant casser le contrat de renouvellement des voitures du métro de Montréal, initialement confié à Bombardier sans appel d'offres. Plus récemment, dans l'affaire du Koweït contre l'Irak, dans laquelle le Koweït conteste la vente d'avions de Bombardier à l'Irak, c'est encore Stikeman qui représentait un client dans une affaire où Bombardier était mise en cause. Cette affaire, rappelons-le, sera entendue en Cour suprême.

Bref, sur une période relativement courte, dans des litiges hautement stratégiques, les procureurs principaux des ennemis jurés de Bombardier étaient Stikeman. Et quel cabinet Bombardier choisit maintenant pour la représenter dans un trio de litiges? Stikeman!

Deux questions, simples, mais fichtrement intéressantes, viennent tout de suite à l'esprit. Primo, comment expliquer ce choix de Bombardier? Secundo, pourquoi Stikeman a-t-il accepté les mandats?

Acheter la paix ?

Pour Bombardier, on peut imaginer toutes sortes de raisons. Les mauvaises langues diront que la société a profité d'une ouverture, d'une "fenêtre d'opportunité", pour reprendre le jargon à la mode, pour acheter la paix. Cette fenêtre, c'est le calumet de la paix fumé avec Alstom à la suite du litige sur le métro de Montréal. Les deux entreprises ont depuis créé un consortium pour construire les wagons. Ainsi, en se rapprochant d'Alstom, Bombardier a vu l'occasion de se rapprocher également de Stikeman; en lui confiant de petits mandats, elle donne espoir à ce cabinet qu'il ne s'agit là que du début d'une relation d'affaires qui pourrait bien devenir plus importante avec les années. En réalité, ce que cherche à faire Bombardier, c'est de s'assurer à l'avenir de ne plus avoir Stikeman dans les pattes!

Surréaliste comme scénario? Peut-être. Dans le fond, comme l'explique Daniel Desjardins, grand patron des affaires juridiques de Bombardier, la décision de choisir un bureau plutôt qu'un autre est fonction du dossier. Dans ces cas-ci, il jugeait que Stikeman avait une expertise pointue (en droit international privé) pour ce type d'affaires. C'était aussi l'occasion de confier des dossiers à Suzanne Côté, considérée comme l'une des meilleures plaideuses au Canada.

Pour Stikeman, il s'agit évidemment d'une occasion unique de mettre les pieds chez un client qui a les moyens de payer les honoraires. Cela dit, c'est le genre de situation extrêmement délicate en raison des conflits d'intérêts. Alstom a-t-il donné son accord à ce que son cabinet représente un ex-ennemi devenu ami? Et le Koweït, qu'a-t-il dit? Toutes ces questions ont sûrement été longuement débattues au comité des conflits d'intérêts du cabinet. Le fait, il est vrai, que dans ces affaires, Bombardier n'était que la partie mise en cause et non l'adversaire direct, a dû faciliter la décision d'aller de l'avant. Et il a bien sûr fallu s'assurer que les avocats représentant Bombardier n'étaient pas les mêmes que ceux ayant travaillé sur les autres litiges. De là à conclure que la relation d'affaires entre Bombardier Stikeman ira plus loin. Pas nécessairement, explique Suzanne Côté. « Dans les affaires de litige, ce sont souvent des one shot deal .»
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