Un souper presque parfait
Sébastien Parent
2018-12-06 13:15:00
Ce n’est que plus tard que le syndicat chercha à faire invalider la décision rendue en invoquant la partialité de l’arbitre.
Un dîner presque partial
Précisons que le témoin présenté par la partie patronale était l’un de ses avocats ayant participé à la négociation de la convention collective. Son témoignage, ayant débuté en matinée, portait d’ailleurs sur l’intention des parties lors de la négociation de certaines clauses au cœur de ce litige.
Alors que son interrogatoire allait se poursuivre au cours de l’après-midi, l’arbitre de grief mentionna lors de l’ajournement pour la pause du lunch : « Je n’aime pas ça quand les témoins dînent seuls, je vais dîner avec lui ».
Au retour de leur tête-à-tête, l’arbitre aurait tapoté l’épaule et souri au témoin, en lui ouvrant la porte de l’hôtel où se déroulait l’arbitrage. Aux dires des représentants de la partie syndicale, ces gestes de convivialité ont rendu la situation encore plus inconfortable.
Bien que le témoignage de l’avocat en question n’ait finalement pas été retenu par l’arbitre, le grief syndical a tout de même été rejeté. C’est à ce moment que le syndicat s’adresse à la Cour supérieure pour faire annuler la sentence arbitrale, au motif que les règles de justice naturelle auraient été violées.
L’indépendance et l’impartialité de l’arbitre de grief
D’entrée de jeu, la Cour supérieure signale qu’un arbitre de grief exerce une fonction quasi judiciaire et se doit de respecter les règles de justice naturelle. En effet, « (n)ul ne conteste que l’exercice de la fonction d’arbitre doit pouvoir s’effectuer en toute indépendance et impartialité, et ce, au même titre qu’un tribunal ».
À ce chapitre, sans aller jusqu’à dire limpidement que la conduite de l’arbitre n’était pas impartiale, la Cour supérieure est d’avis que son initiative « d’aller dîner avec le témoin (…) alors que le témoignage de celui-ci n’est pas terminé, et ce, pour la simple raison d’éviter à ce témoin de dîner seul peut s’avérer étonnante » (2018 QCCS 3400).
Le retard à soulever l’impartialité
Cependant, la Cour reproche au syndicat d’avoir tardé à soulever ce motif de récusation. Une fois la surprise passée, le procureur de la partie syndicale aurait dû réagir et informer l’arbitre de son malaise, à tout le moins au retour du dîner.
En effet, le principe veut qu’une crainte raisonnable de partialité doit être soulevée au décideur à la toute première occasion, sans quoi un silence emporte renonciation. Il ne faut donc pas attendre d’apprécier l’issue de la sentence arbitrale pour soulever un tel moyen.
En cela, la peur de s’attirer les foudres de l’arbitre, comme le plaidait le syndicat dans sa demande d’annulation, n’est pas une explication recevable pour excuser son retard. Ces motifs ont conduit la Cour à rejeter la demande d’annulation de la décision arbitrale.
En terminant, soulignons que le Barreau du Québec a publié un Guide des meilleures pratiques en arbitrage de grief pour mieux orienter tant les plaideurs que les décideurs, notamment quant au décorum indispensable à sa crédibilité.
« L’homme vraiment libre est celui qui sait refuser une invitation à dîner sans donner d’explications » - Jules Renard