Elle fait parler les ordinateurs
Martine Turenne
2016-08-25 11:15:00
La jeune femme de 28 ans s’est jointe, en avril, à l’équipe des enquêtes technologiques et sécurité informatique au sein des Services de juricomptabilité de MNP. « Je suis passionnée tant par la technologie que par le fait de résoudre des problèmes. Et plus ils sont complexes, mieux c’est! »
Colmater les brèches
Née à Chennaï, ville située sur les rives du golfe du Bengale, en Inde, Muthuselvi Subramanian est arrivée à Montréal il y a huit ans. Elle venait de compléter, dans la capitale tamoule, un baccalauréat en Ingénierie, électronique et télécommunication, et s’était inscrite à l’Université Concordia afin d’y compléter une maîtrise en ingénierie, sécurité des systèmes d’information. « J’étais aventurière. Je ne connaissais personne ici. Je ne parlais pas français non plus. Quand j’entendais les gens parler dans cette langue, je me disais : oh!, je vais devoir l’apprendre! »
Ça n’était pas la première barrière que la jeune femme franchissait. Celle qui se passionnait pour les objets électroniques et les robots depuis toujours suivait un chemin peu fréquenté par les femmes. « Dans ma famille, mon père se faisait demander : pourquoi envoyer une fille dans une école de génie? »
Lorsqu’elle a songé à se spécialiser, Muthuselvi avait en tête les nombreuses failles des systèmes informatiques, que les criminels de tout acabit franchissent allègrement pour commettre leurs méfaits. « Je me suis dit : ok, je dois apprendre à protéger les informations et les systèmes. Les ordinateurs sont utilisés de la mauvaise manière par des gens peu scrupuleux. Et c’est devenu une passion. »
Pour compléter sa formation, la jeune femme a suivi le cours d’initiation aux techniques d’enquête et d’investigation, au Cégep de Saint-Hyacinthe. Elle a donc son permis de sécurité privée, une licence indispensable pour sa pratique.
Penser comme un criminel
Le travail de Muthuselvi au sein de MNP est double : elle aide tant à sécuriser des systèmes informatiques chez les clients, et à leur permettre de se remettre d’interruptions causées par une fraude, qu’à en déverrouiller d’autres afin de prouver une malversation. « Ma première tâche est de comprendre ce qui s’est passé, puis de l’expliquer au client. Par la suite, je propose des solutions afin de sécuriser le système et éviter qu’une nouvelle fraude ne survienne. »
La plupart de ses mandats proviennent de firmes d’avocats. Lorsqu’il s’agit de soupçons de fraudes ou de malversations, le modus operendi est souvent le même : elle reçoit l’appel d’une firme d’avocats pour se rendre, le jour même, à telle entreprise, après les heures de travail, afin de saisir le ou les ordinateurs. « Lorsque j’arrive sur les lieux, tout le monde est en panique! On vient de se rendre compte qu’il y a un sérieux problème. »
Elle sait qu’elle n’a pas le look du geek à lunettes que l’on voit dans les films. « Oui ça surprend. Mais je suis l’experte, je fais ma job, je reste très focusé et surtout, très calme. C’est ce qu’on me dit : «wow! quel calme vous avez!»
Elle rapporte ses trésors de guerre à son labo ultra sécurisé, où l’analyse de ce qui deviendra la preuve électronique peut commencer. « Premièrement, je préserve les données, puis je les copie. Je cherche ensuite les évidences, je les analyse, et je produis un rapport de juricompatibilité. » Les avocats de la partie adverse doivent fournir le mot de passe de l’ordinateur, qui servira à naviguer dans les données. « C’est une obligation légale. Mais parfois, l’avocat ne me fournit pas le mot de passe, pour des raisons diverses. Je dois donc le trouver. »
Elle doit alors utiliser la « force brute » pour faire « craquer » le système. C’est alors une question de temps avant qu’elle ne le découvre. « La plupart des gens utilisent des mots de passe très simples. Mais quelques-uns peuvent prendre des semaines avant d’être découverts. »
Une fois dans la caverne d’Ali Baba, il s’agit de retrouver des données parfois détruites, ou mises sur un lointain nuage. Dans tous les cas, des traces demeurent, et c’est le travail de Muthuselvi de découvrir les preuves camouflées. « Tous les dossiers sont différents. Et plus c’est challengeant, plus j’aime ça! C’est un crime et je dois penser comme un criminel : comment a-t-il fait? »
La jeune femme mène aussi des ordonnances Anton Piller : le but de ce type d’ordonnance est d’empêcher un défendeur de faire disparaître ou de détruire une preuve que l’on désire protéger en vue d’un litige. Pour ce faire, il ne doit pas être au courant qu’une perquisition aura lieu. « Cela nous donne le droit de saisir les évidences sans préavis. Des équipes sont dépêchées dans le ou les compagnies, en même temps, afin de saisir le matériel. »
Les clients de Muthulselvi Subramanian évoluent dans des secteurs multiples : télécommunications, TI, logiciels, transport, construction, exploitation, mines, éducation, soins de santé, médecine… « Chaque secteur a ses propres défis. Mais à la fin de la journée, dit-elle, mon but reste le même : protéger l’information. »
Quand elle ne se plonge pas dans les entrailles des systèmes informatiques, Muthulselvi Subramanian adore cuisiner, notamment les mets indiens. Elle ne fréquente plus les restaurants de son pays d’origine, car elle juge ses plats bien meilleurs! Mais elle adore les restos du reste du monde, qu’elle découvre à Montréal. « J’aime Montréal pour ça! Il y a de belles opportunités de connaître d’autres cultures. Et tant de festivals! L’été, c’est si dense dans les rues que je me sens parfois en Inde! »