Aide médicale à mourir: le Sénat adopte le projet de loi amendé

La Presse Canadienne
2016-06-16 11:24:00

Dilemme
Après avoir bombé le torse, certains sénateurs ont semblé le dégonfler, se demandant s'ils seraient prêts à mettre leur menace à exécution en allant jusqu'à défaire C-14 si les députés rejetaient leur amendement le plus substantiel: le retrait du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible.
Le sénateur indépendant André Pratte, n'était ainsi plus prêt à dire, mercredi, comme il l'avait proclamé il y a quelques jours, qu'il voterait contre la mesure législative si cette notion n'était pas biffée du texte. « Je réfléchis; il y a juste les fous qui ne changent pas d'idée », a-t-il justifié en mêlée de presse.
L'ancien éditorialiste s'est questionné sur les conséquences que le rejet pur et simple de C-14 pourrait avoir sur la perception qu'ont les Canadiens du Sénat non élu, qui se retrouverait en porte-à-faux par rapport à un gouvernement libéral très populaire, a-t-il fait remarquer.
« Je me dis que notre rôle, comme sénateurs, comme personnes non élues, c'est d'alerter la Chambre des communes quand on estime qu'il y a un accroc dans la Charte des droits », a-t-il indiqué.
Pour certains de ses collègues, en revanche, l'élimination du critère de mort naturelle raisonnablement prévisible - critiqué par le Barreau du Québec, le Collège des médecins du Québec et le ministre québécois de la Santé, Gaétan Barrette - demeure une condition sine qua non.
Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu est de ceux-là. Il a réitéré mercredi qu'il avait toujours l'intention de voter contre C-14 s'il revient au Sénat sans cette modification qui lui apparaît « fondamentale ».
Le leader de l'opposition conservatrice au Sénat, Claude Carignan, n'a pas voulu dire ce qu'il ferait personnellement dans un tel cas. Il a toutefois réitéré que si « aucun » amendement sénatorial n'est accepté, le projet de loi pourrait être relégué aux oubliettes.
Il ne se laisse donc pas impressionner par la sortie de la leader intérimaire de son propre parti, Rona Ambrose, qui s'est dite la semaine dernière « très frustrée » d'avoir vu une bande de non élus amender substantiellement la mesure législative.
Le leader du gouvernement à la Chambre des communes, Dominic LeBlanc, a pour sa part semblé vouloir reconnaître à la chambre haute une valeur essentiellement symbolique, mercredi, lorsqu'il a été invité à se prononcer sur l'ouverture du gouvernement face aux amendements sénatoriaux. « Le processus suivi par le Sénat à date a énormément, énormément, amélioré la conscience publique, a contribué, je pense, à informer les Canadiens et à avancer le débat sur un sujet qui est nécessairement difficile », a-t-il indiqué.
Au fil des discours, mercredi, de nombreux sénateurs se sont en outre félicités de la qualité des débats au Sénat, se réjouissant que les projecteurs actuellement braqués sur l'institution - dont la réputation a été sérieusement entachée ces dernières années - le sont cette fois pour les bonnes raisons.
D'autres encore, comme le sénateur libéral indépendant Dennis Dawson, ont prévenu que la Chambre des communes devra composer avec la nouvelle chambre haute libérée de ses chaînes partisanes qu'a souhaitée le premier ministre Justin Trudeau.
« Lorsqu'il est appelé à jouer le rôle pour lequel, jusqu'à nouvel ordre, il existe, le Sénat ne peut se pincer le nez et regarder passer (les projets de loi) parce que ça risque de déplaire à l'autre (chambre) », a-t-il plaidé dans un message écrit lu par sa collègue Claudette Tardif.
Le sénateur Dawson, qui est atteint d'un cancer de la gorge, a été catégorique dans cette déclaration : « le Sénat ne peut ni ne doit se laisser intimider. C'est ça, l'exercice du sober second thought », a-t-il tranché.
De l'autre côté de l'édifice du Centre, Dominic LeBlanc a dit avoir toujours bon espoir que la mesure législative pourra obtenir la sanction royale d'ici la fin des travaux parlementaires, jeudi prochain. Mais si la situation l'exige, le gouvernement est prêt à prolonger la session, a-t-il laissé entendre. « Je peux vous dire que moi, je ne serais pas à l'aise d'ajourner la Chambre (tant) que nous n'aurons pas un projet de loi sur l'aide médicale à mourir qui est à quelques moments d'être signé par le gouverneur général. »
Les ministres de la Justice, Jody Wilson-Raybould, et de la Santé, Jane Philpott, ont signalé à plusieurs reprises qu'elles ne seraient pas prêtes à retirer le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible, estimant que cela briserait le délicat équilibre qu'elles croient avoir atteint dans C-14.
L'aide médicale à mourir est légale partout au pays depuis le mardi 7 juin, même si elle n'est encadrée par aucune loi fédérale. Les collèges des médecins des provinces ont établi des lignes directrices pour guider leurs membres.