Arrêt Jordan : trois causes criminelles abandonnées en Abitibi pour délais déraisonnables
Radio-canada Et Cbc
2024-03-19 10:30:57
Plusieurs causes criminelles ont été abandonnées en Abitibi en raison de l’arrêt Jordan…
Au cours des trois derniers mois de l’année 2023, trois causes criminelles se sont soldées par un arrêt des procédures pour délais déraisonnables demandé par la défense en Abitibi-Témiscamingue, selon des données du ministère de la Justice du Québec. Des décisions liées à l’arrêt Jordan. Une situation qui n’est pas rassurante, selon des intervenantes qui viennent en aide aux victimes.
L’arrêt Jordan stipule qu’un plafond de 18 mois doit être respecté pour la durée totale d’un procès en cour provinciale. Au-delà de cette limite, la défense peut demander un arrêt des procédures et le tribunal doit juger si les droits de l'accusé ont été violés.
Le 2 octobre dernier, deux dossiers, l’un à Amos et l’autre à Senneterre, ont pris fin par un arrêt des procédures à la suite d’une demande de la défense.
À Amos, un homme faisait face à des accusations de voies de fait contre une femme, de l’avoir séquestrée, emprisonnée ou saisie de force et d’avoir proféré des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles. L’homme était aussi accusé de voies de fait contre une personne d’âge mineur et d’avoir encouragé une personne d’âge mineur à se donner la mort.
À Senneterre, il s’agissait d’un dossier pour conduite avec les capacités affaiblies par l’alcool.
La troisième décision a été rendue au palais de justice de Rouyn-Noranda le 19 décembre dans un dossier d’agression sexuelle. Un homme de 21 ans était accusé d’agression sexuelle, de voies de fait et de menaces de causer la mort ou des lésions corporelles.
« Pour le Barreau d’Abitibi-Témiscamingue, c’est toujours une inquiétude parce que même si c’est seulement trois cas, chaque dossier Jordan est une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui ont participé, les victimes en premier lieu et leurs familles », affirme la bâtonnière de l’Abitibi-Témiscamingue, Me Kathy Tremblay.
Depuis le début de l’année 2021, en Abitibi-Témiscamingue, aucun jugement n’avait été rendu pour arrêt des procédures en raison de délais déraisonnables demandé par la défense. Il s’agit donc d’un phénomène relativement nouveau dans la région, mais qui est très répandu ailleurs, notamment en Estrie.
« Mon souhait, c’est que ce seront des cas isolés, mais c’est impossible à prédire, l’avenir va nous le dire. Je souhaite ardemment que les gens puissent avoir un procès dans un délai raisonnable, autant pour l’accusé que pour la victime ou la famille de la victime », ajoute Me Tremblay.
La Presse révélait aussi, en septembre 2023, que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) avait abandonné 126 dossiers, dont 99 provenant de la Cour itinérante, qui se tient à la Baie-James et au Nunavik. Les 27 autres dossiers concernaient les palais de justice de Val-d'Or, d'Amos et de Ville-Marie.
Des sentences « à l’avantage des accusés »
Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel-Abitibi (CALACS-Abitibi) estime que la situation n’a rien de rassurant pour les victimes. La coordonnatrice administrative Josée Bélisle croit que le manque de juges et de procureurs fait en sorte que les victimes ont toujours une crainte qu’il y ait un arrêt des procédures.
Mme Bélisle constate que de plus en plus, les procureurs ont tendance à négocier rapidement avec la partie défenderesse pour éviter un arrêt des procédures. « Dans le cas où on a peur d’un arrêt des procédures, on comprend que la négociation est toujours au bénéfice de l’agresseur », mentionne-t-elle.
Josée Bélisle ajoute qu’il y a présentement une rupture du lien de confiance entre les femmes et le système de justice parce que les femmes « se sentent flouées ».
« Lorsqu’elles se présentent au palais de justice, tout a été réglé d’avance. C’est comme si les dés étaient pipés, tout a été décidé d’avance et à un endroit où on ne leur demande pas non plus leur opinion. Ce que ça occasionne en fait, c’est que les victimes ont l’impression que lorsque ça sort au bout du tunnel judiciaire, ça ne ressemble plus du tout à l’histoire qu’elles ont vécue », fait observer Mme Bélisle.
Mme Bélisle dit aussi que des accusés ayant commis des crimes qui peuvent être jugés « odieux » reçoivent souvent des sentences à purger à domicile.
« Ils auront le droit de sortir pour aller travailler, pour aller faire leurs courses et récemment, dans un crime que je trouvais particulièrement odieux, le monsieur a le droit de sortir tous les jours pour aller s’entraîner au gym », déplore-t-elle en précisant que les conséquences sont parfois pires pour la victime.
«La victime, qui se débat dans ce système depuis deux ou trois ans, a dû arrêter de travailler, est en thérapie depuis deux ans et elle sent vraiment qu’elle n'aurait jamais dû embarquer dans ce processus », raconte Josée Bélisle.