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De meurtrière à avocate?

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Radio-canada Et Cbc

2024-08-26 14:15:48

La cause porte sur AB, une Ontarienne qui a commis un meurtre dans sa jeunesse il y a près de 20 ans et qui souhaite aujourd'hui devenir avocate. Source : Radio-Canada / Alexandre Duval
La cause porte sur AB, une Ontarienne qui a commis un meurtre dans sa jeunesse il y a près de 20 ans et qui souhaite aujourd'hui devenir avocate. Source : Radio-Canada / Alexandre Duval
Une femme, coupable de meurtre alors qu’elle était adolescente, est en voie de devenir avocate…



Un juge de Brampton a récemment donné raison à une femme, qui avait commis un meurtre lorsqu'elle était mineure et qui souhaite aujourd'hui pratiquer le droit contre la volonté apparente du Barreau ontarien. Il écarte, en outre, toute crainte du public au sujet d'être représenté par un ou une avocate ayant enfreint la loi dans sa jeunesse.

Dans sa décision, le juge Bruce Duncan écrit que les verdicts de culpabilité au sujet d'un crime n'ont plus aucun effet lorsqu'un mineur a purgé sa peine et atteint l'âge adulte, ce qui n'est pas le cas des adultes qui traînent leur casier judiciaire avec eux toute leur vie.

La femme ne peut être identifiée que par ses initiales AB en vertu de la loi à cause du meurtre qu'elle a commis, il y a environ 20 ans, dans la région de Peel.

Le juge ne donne d'ailleurs aucun détail entourant le meurtre dont la femme a été reconnue coupable. Le document montre néanmoins que AB a fini de purger sa peine en 2014.

« C'est comme si le verdict de culpabilité est effacé », mentionne-t-il en citant l'art. 82 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

« Aucune tentative de prouver le contraire ne peut être autorisée et aucune cour, ni aucun tribunal administratif, ne peut conclure que AB a été reconnue coupable d'un crime (pour lequel elle a été accusée dans sa jeunesse) », dit-il dans un jugement daté du 15 août dernier.

Le juge Duncan confirme la jurisprudence de la Cour suprême du Canada à ce sujet. Il existe néanmoins des exceptions à cette règle et le magistrat précise qu'aucune d'entre elles ne s'applique à AB.

Le droit inaliénable à la réinsertion sociale

Le Barreau ontarien voulait utiliser le passé criminel d'AB devant un tribunal administratif pour décider si la jeune femme remplit les conditions de moralité requises de l'ordre professionnel pour lui accorder un droit de pratique.

Le juge Duncan écorche au passage le Barreau pour avoir posé « une question tendancieuse et injustifiée en vertu de l'art. 82 » à AB au moment du processus d'embauche en 2016, ce qui lui avait permis de prendre connaissance du passé de la candidate.

« Une réinsertion sociale efficace nécessite que les jeunes contrevenants aient la possibilité de reprendre leur vie et de laisser derrière eux leurs interactions avec le système de justice pénale afin qu'ils puissent entrer dans leur vie d'adulte en étant affranchis de toute stigmatisation due à leur casier judiciaire », mentionne le juge Duncan.

À l'époque, AB avait accepté que le Barreau ait accès aux informations contenues dans son dossier judiciaire de jeunesse.

Le même juge de la Cour de justice de l'Ontario avait rendu une décision favorable au Barreau à ce sujet en 2019, lorsque les avocats du Barreau lui en avaient fait la demande.

En réalisant qu'elle n'était pas obligée d'accorder une telle permission au Barreau dans le cadre de sa candidature, AB s'était alors adressée en 2021 au juge Duncan pour qu'il révoque sa décision de laisser le Barreau obtenir de telles informations préjudiciables.

La requête d'AB avait été entendue en juin dernier.

Aucune raison pour le public de s'inquiéter

Dans son jugement, le magistrat ordonne d'ailleurs au Barreau de lui remettre le casier judiciaire d'AB en précisant que le Barreau n'aurait jamais dû lui poser une telle question au sujet de son passé de mineure.

« À mon avis, ni la condamnation ni la preuve du meurtre auquel la culpabilité se rapporte ne peuvent être utilisées aux fins prévues du Barreau ni même être examinées par son tribunal administratif », poursuit le juge.

« AB est définitivement considérée comme n'ayant jamais commis le crime », conclut le magistrat qui précise que de telles situations demeurent exceptionnelles.

Le juge reconnaît avoir commis lui-même une erreur à l'époque en autorisant le Barreau à avoir accès au dossier d'AB, mais il explique que les raisons du Barreau d'agir de la sorte n'étaient pas connues à ce moment-là.

Il écarte en outre toute inquiétude de la société en expliquant que sa décision ne devrait pas restreindre à l'avenir les aptitudes du Barreau d'examiner minutieusement le profil des candidats et exposer le public à des préjudices.

« Le Parlement a toujours maintenu l'idée selon laquelle les effets salutaires pour tous les jeunes de faire table rase sur leur passé, une fois qu'ils réintègrent la société, l'emportent sur les conséquences négatives ou indirectes qui pourraient en découler », ajoute le juge Duncan.

Le juge rappelle que les autres ordres professionnels, les institutions ou les professions n'ont pas la possibilité non plus d'accéder aux dossiers d'anciens jeunes contrevenants qu'ils emploient aujourd'hui à l'âge adulte, ni de connaître les antécédents judiciaires de leur jeunesse.

« À ma connaissance, aucun préjudice ni même aucun tollé n’ont été signalés à la suite de telles restrictions de la part des tribunaux », conclut-il.

L'avocate d'AB, Naomi Sayers, a accusé réception de notre demande d'entrevue, mais elle n'y a pas fait suite.

Dans un courriel, le Barreau écrit pour sa part qu'il est en train d'étudier le jugement. Il a jusqu'au 1er octobre pour interjeter appel de la décision devant la Cour supérieure de l'Ontario.

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