Des freins à l'aide juridique en Abitibi-Témiscamingue
Radio -Canada
2019-10-07 12:00:00
Trois citoyennes nous ont confié que malgré leurs multiples démarches, aucun avocat acceptant des mandats d'aide juridique n'était disponible ou intéressé à les représenter.
L'une d'elles, Lisa-Marie Roy, s'est résignée à se représenter seule devant la cour, après deux mois de démarches infructueuses.
«Je ne sais pas si juste à cause de cela, je vais me planter. Ça fait peur pareil », lance Mme Roy.
Une citoyenne qui souhaite que son identité ne soit pas dévoilée nous a confié avoir contacté tous les avocats de la région disponibles, sans jamais obtenir de réponse positive. C'est très angoissant. La sécurité de mes enfants en dépend, nous a-t-elle confié. Ma formation n'est pas en droit, je ne suis pas outillée pour me représenter seule.
La directrice générale du Centre communautaire juridique de l'Abitibi-Témiscamingue, Nathalie Samson, qui supervise le travail des huit bureaux d'aide juridique de la région, est au fait de la situation. Plusieurs avocats du privé ne sont pas disponibles et ça crée un problème, déclare-t-elle. On était même prêt à accepter de défrayer les frais de déplacement des avocats hors région, mais malheureusement, il y en a pas beaucoup qui acceptent de se déplacer.
Un régime mixte
Il est possible d'avoir accès à l'aide juridique de deux manières, soit par les avocats permanents des bureaux d'aide juridique ou par ceux des cabinets privés, qui acceptent des mandats d'aide juridique. Le privé devrait normalement prendre 50 % des mandats et les permanents 50 %, explique la directrice générale du Centre communautaire juridique de l'Abitibi-Témiscamingue, Nathalie Samson.
Ces deux systèmes qui fonctionnent en parallèle, sont indispensables pour éviter les conflits d'intérêts. En effet, dans des situations de litiges familiaux par exemple, le père et la mère ne peuvent faire affaire avec le bureau d'aide juridique. L'un des deux devra se tourner vers un avocat d'un cabinet privé.
Les cas qui nous ont été rapportés concernent par ailleurs des litiges en lien avec la protection de la jeunesse ou le droit familial où l'une des parties n'avait d'autre choix que de trouver un avocat d'un cabinet qui accepte des mandats d'aide juridique.
Une question de financement gouvernemental?
Le bâtonnier du Québec, Paul-Matthieu Grondin, n'est pas surpris par la situation en Abitibi-Témiscamingue. Un problème attribuable, selon lui, aux tarifs «faméliques et désuets» proposés par le gouvernement aux avocats du privé qui acceptent les mandats d'aide juridique.
« Toute la communauté juridique pense qu'il faut absolument révolutionner l'aide juridique, mais ce n'est pas ce qui est en train de passer. Va falloir qu'on trouve une façon de mettre de la pression pour que ça change rapidement », se résout Me Paul-Matthieu Grondin, bâtonnier du Québec.
Le Barreau du Québec a d'ailleurs refusé une nouvelle offre monétaire gouvernementale en juillet, la jugeant toujours nettement insuffisante. Les avocats en pratique privée se désintéressent complètement de l'aide juridique, constate Me Grondin. Ce sont les gens qui en ont le plus besoin qui sont laissés pour contre.
La représentante des avocats de la défense de l'Abitibi-Témiscamingue, Érika Marier, est au fait de la situation. Certains tarifs n'ont pas augmenté depuis plusieurs années et il faut donc comprendre que certains avocats vont se désintéresser évidemment de ce genre de dossier, constate-t-elle.
Le cabinet de la ministre de la Justice indique que l’offre proposée au Barreau du Québec prévoyait une augmentation considérable (du tarif) dans les dossiers en matière familiale.
L’attachée de presse la ministre, Nicky Cayer, affirme que pour le gouvernent, les négociations ne sont pas terminées. On analyse comment donner suite au refus du barreau, a-t-elle déclaré.
Un manque d'avocats?
La difficulté à recruter de nouveaux avocats contribuerait aussi à la dégradation de la situation en Abitibi-Témiscamingue. Il est très difficile présentement d'avoir des candidats qui sont intéressés de venir travailler en région, souligne Me Marier.
Un constat que partage la directrice générale du Centre communautaire juridique de l'Abitibi-Témiscamingue, Nathalie Samson. Il y a de moins en moins avocats qui viennent s'établir en région, il y a des départs et moins d'arrivées, souligne-t-elle, tout en avouant craindre que la situation s'envenime.
« Les gens du milieu juridique doivent se concerter et se pencher sur des solutions pour attirer et retenir les jeunes avocats en région, qui accepterait de prendre des mandats d'aide juridique », estime Nathalie Samson, directrice générale du Centre communautaire juridique de l'Abitibi-Témiscamingue.
Me Samson estime aussi que moins d'avocats du privé acceptent des mandats d'aide juridique, ce qui cause une plus grande pression sur les avocats des bureaux d'aide juridique.
Or la solution ne peut être uniquement d'augmenter le nombre d'avocats permanents, tranche Me Samson. Du moment qu'on [le bureau d'aide juridique] est en conflit d'intérêts, ça tombe dans la cour du privé. Si on n'a pas d'avocat du privé (disponible), le système ne marche plus.