Des sociétés créées par KPMG ordonnent la destruction de documents

Radio -Canada
2017-05-31 10:45:00

À l’automne 2012, le ministère de la Justice envoie à KPMG un « avis de conservation de documents » concernant ses activités à l’île de Man, un paradis fiscal situé entre l’Irlande et l’Angleterre.
L’Agence du revenu du Canada, qui mène alors une enquête, soupçonne le cabinet comptable d’avoir mis sur pied un stratagème pour cacher les fortunes de riches clients.
L’avis du ministère de la Justice ne mentionne toutefois pas que les documents des clients de KPMG à l’étranger doivent être conservés.
Des documents obtenus par Enquête et CBC montrent que quatre compagnies créées par le cabinet comptable à l’île de Man ont adopté des « résolutions extraordinaires » afin de détruire « livres, documents et tous papiers » cinq semaines après l’envoi de l’avis par le gouvernement canadien.
En réponse aux questions de CBC, le cabinet comptable soutient s’être conformé à ses obligations de conservation de documents, soulignant qu’il n’était pas propriétaire de ces sociétés.
« Personne chez KPMG n’a été invité à détruire des documents » et « personne n’a conseillé une telle destruction ».
Un avocat impliqué
Le registre des entreprises de l’île de Man montre cependant que les quatre sociétés ont des liens avec KPMG.
Elles ont été créées en décembre 2002 pour des milliardaires de Colombie-Britannique grâce à l’aide du géant de la comptabilité.
Aussi, un des administrateurs de ces sociétés est Paul Dougherty, un avocat de l’île de Man qui a fourni à KPMG un avis juridique lorsque le cabinet s’est mis à créer des sociétés pour ses riches clients dans ce paradis fiscal.
M. Dougherty était aussi administrateur de 23 autres compagnies liées à KPMG à l’île de Man.
Les documents d’entreprises consultés par Radio-Canada et CBC montrent d’ailleurs que presque toutes les sociétés liées au stratagème de KPMG ont été dissoutes à la suite de l’enquête lancée par l’Agence du revenu du Canada en 2012.
Le processus de liquidation de Plantation Island, General Island, Sandy Point et First Land a débuté en octobre 2012 lorsque Paul Dougherty s’est rendu à Hong Kong pour rencontrer John Lee, un autre administrateur de ces sociétés.
John Lee, un Canadien qui a travaillé comme fiscaliste pour KPMG à Vancouver, à Toronto et finalement à Hong Kong à partir de 1994, a été nommé administrateur de ces sociétés peu de temps après son départ du cabinet comptable.
Le 18 octobre 2012, les deux hommes signent les documents pour enclencher la liquidation des sociétés.
À son retour à l’île de Man, l’avocat Paul Dougherty fera adopter lors d’une assemblée extraordinaire des résolutions stipulant qu’après trois mois, « les livres, documents et papiers de la compagnie et du liquidateur » seront détruits.
Nous avons tenté de joindre M. Dougherty à sa résidence de l’île de Man, sans succès. Même chose pour le fiscaliste John Lee. Il n’a pas répondu à nos courriels et ne nous a pas rappelés.
Des sociétés créées pour des milliardaires

Caleb et Tom Chan, dont la fortune est estimée à plus de 1 milliard de dollars, sont des philanthropes et des promoteurs immobiliers milliardaires bien connus dans l’ouest du pays.
Leur nom orne l’entrée de la salle de concert de l’Université de Colombie-Britannique, le Chan Centre. Les deux frères ont d’ailleurs reçu un doctorat honorifique de cette institution en 1990.
Les documents obtenus par Radio-Canada montrent que Caleb Chan était un administrateur de Sandy Point et de Plantation Island. Tom Chan, lui, était administrateur de First Land et General Island.
L’ex-fiscaliste de KPMG John Lee les a remplacés en tant qu’administrateur en 2010.
Dans une lettre envoyée à CBC, l’avocat des Chan affirme qu’aucun membre de la famille n’était au courant d’une quelconque destruction de documents dans la foulée de l’enquête lancée par l’Agence du revenu du Canada. « Toute allégation ou insinuation suggérant le contraire est fausse et diffamatoire », dit Daniel Reid, avocat de la famille Chan.
Me Reid a précisé sa version des faits lorsque CBC lui a envoyé une copie des « résolutions extraordinaires » ordonnant la destruction des documents.
KPMG n’a pas avisé la famille Chan de l’avis envoyé par le ministère de la Justice à KPMG, écrit-il dans un autre courriel. S’ils avaient eu connaissance de cet avis, ils n’auraient jamais ordonné la destruction de documents, ajoute-t-il.
Malgré tout, « d’innombrables documents » ont été conservés pour respecter les lois de l’île de Man, insiste l’avocat Daniel Reid, qui a montré plusieurs exemples à CBC.
Le ministère de la Justice n’a pas voulu commenter la destruction de documents par les quatre sociétés à l’île de Man, se limitant à dire qu’un « avis de conservation » est une lettre légale qui demande à celui qui la reçoit de préserver des documents.