Le Tribunal de la concurrence s’invite au cinéma

James B. Musgrove, Hannah Johnson Et Mishail Adeel
2025-02-25 11:15:42
Prêt pour un aperçu de la décision rendue dans l’affaire d’indication de prix partiel de Cineplex?
Introduction

Le 2 octobre 2024, le Tribunal de la concurrence a rendu sa décision dans l’affaire Commissaire de la concurrence c. Cineplex Inc., appliquant pour la première fois les dispositions relatives à l’« indication de prix partiel » introduites par les modifications apportées à la Loi sur la concurrence du Canada (la « Loi »). Vous pouvez consulter notre article précédent sur l’affaire Cineplex ici, et les modifications apportées aux dispositions relatives à la publicité trompeuse ici.
Le Tribunal a examiné les prix de billets de cinéma proposés en ligne par Cineplex et est parvenu à la même conclusion que le Commissaire, à savoir que Cineplex avait enfreint aussi bien les dispositions générales sur les indications trompeuses que les nouvelles dispositions sur l’« indication de prix partiel ». Par ailleurs, le Tribunal a imposé à Cineplex une lourde sanction administrative pécuniaire (« SAP ») de 38,9 M$ CA, la plus élevée jamais imposée à ce jour en vertu de la Loi.
Qu’est-ce qu’une indication de prix partiel?
L’indication de prix partiel, au sens des récentes modifications apportées à la Loi, est une pratique selon laquelle les entreprises annoncent un prix, puis y ajoutent, au moment de la vente ou avant, des frais obligatoires supplémentaires qui rendent le prix initial « inatteignable ».
Ces frais peuvent avoir diverses appellations, comme « frais de traitement », « frais de réservation », « frais de nettoyage » ou « frais administratifs ». Le problème survient lorsqu’ils ne sont pas communiqués de façon transparente ou précise aux consommateurs dès le départ. Au lieu de cela, ils sont omis du prix annoncé et sont généralement révélés au fil du processus d’achat, augmentant à petites doses le coût final.
Modifications récentes
À la suite de modifications apportées à la Loi en juin 2022 et 2024, le paragraphe 74.01 a été modifié afin d’introduire une nouvelle disposition stipulant expressément que l’indication de prix partiel constitue une indication fausse et trompeuse. Les modifications prévoient que : l’indication d’un prix qui n’est pas atteignable en raison de frais obligatoires fixes qui s’y ajoutent constitue une indication fausse ou trompeuse, sauf si les frais obligatoires imputés ne représentent que le montant imposé sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale.
Les personnes morales qui se livrent à une pratique commerciale trompeuse s’exposent dorénavant à une sanction pouvant atteindre le plus élevé des montants suivants :
- 10 000 000 $ pour la première infraction et 15 000 000 $ pour chaque infraction subséquente; et
- trois fois la valeur du bénéfice tiré du comportement trompeur. Si ce montant ne peut pas être déterminé raisonnablement, trois pour cent des recettes globales brutes annuelles.
Ce qui est reproché à Cineplex
En mai 2023, le Commissaire de la concurrence a intenté une poursuite contre Cineplex au motif que les prix des billets de cinéma affichés sur le site Web et l’application de l’entreprise étaient trompeurs parce qu’ils omettaient les frais de réservation en ligne obligatoires, qui variaient de 1,00 $ à 1,50 $. Le Commissaire a fait valoir que la divulgation des frais au bas de la page Web, dans une rubrique « au-dessous du pli » seulement visible si l’utilisateur fait défiler la page vers le bas, n’était pas suffisante pour régler le problème.
Le processus d’achat de Cineplex offrait aux visiteurs un prix par billet. Lorsque le visiteur sélectionnait un billet, un sous-total apparaissait sur un « ruban flottant » au bas de l’écran. Bien que ce sous-total incluait les frais de réservation en ligne, il ne les répartissait pas explicitement. Le ruban situé « au-dessus du pli » (visible sans défilement) comportait un bouton d’appel à l’action intitulé « Continuer » qui, selon le Commissaire, incitait les utilisateurs à continuer l’achat sans défiler davantage.
Le Commissaire a soutenu que l’approche de Cineplex enfreignait à la fois les dispositions générales sur les indications trompeuses et les règles spécifiques sur l’indication de prix partiel prévues par la Loi, car elle était susceptible de tromper les consommateurs en leur fournissant une indication incomplète et trompeuse du prix total du billet.
Décision du Tribunal
Le Tribunal a conclu que les indications de prix de Cineplex étaient substantiellement fausses ou trompeuses, tant en vertu des dispositions générales sur les indications trompeuses que des nouvelles dispositions de la Loi sur l’indication de prix partiel.
Impression générale
Invoquant la disposition générale sur les indications trompeuses, le Tribunal a déterminé que les prix des billets affichés initialement par Cineplex étaient inexacts, et que les consommateurs avaient été induits en erreur par les renseignements contradictoires et incomplets sur la page de vente de billets. Les principaux éléments qui sous-tendent la décision sont les suivants :
- l’omission de Cineplex de divulguer les frais de réservation en ligne dans le prix initial du billet.
- l’indication d’un sous-total incluant les frais de réservation, mais n’en faisant pas mention séparément.
Le Tribunal n’a pas formulé d’observations sur la question de savoir si les « solutions de rechange » proposées par l’expert du Commissaire, comme l’affichage des frais dans une fenêtre contextuelle, auraient été conformes.
La disposition sur l’« indication de prix partiel »
En vertu des nouvelles dispositions relatives à l’indication de prix partiel, le Tribunal a également statué que les indications de prix de Cineplex étaient fausses ou trompeuses. Il a estimé que les frais de réservation en ligne constituaient des frais fixes et obligatoires imposés à un sous-ensemble de consommateurs, même s’ils ne s’appliquaient pas à tous les consommateurs.
Cineplex a fait valoir que les frais de réservation en ligne n’étaient pas obligatoires parce que le prix annoncé était atteignable si les billets étaient achetés en personne, et que les frais de réservation en ligne ne s’appliquaient pas aux membres du CinéClub de Cineplex. Le Tribunal a rejeté l’argument de Cineplex en soulignant que les consommateurs s’attendaient raisonnablement à ce que les prix affichés sur le site Web de Cineplex soient exacts pour les achats en ligne et que le site Web ne précisait pas que les frais de réservation ne s’appliqueraient pas aux transactions en personne.
Recours
Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’imposer diverses sanctions, y compris des SAP, la restitution des bénéfices et des ordonnances d’interdiction. Dans le cas d’espèce :
SAP: Le Tribunal a imposé à Cineplex une lourde SAP de 38,9 M$ CA, la plus élevée jamais imposée à ce jour en vertu de la Loi. Cette sanction correspond au montant que Cineplex a perçu au titre de frais de réservation en ligne de juin 2022 à décembre 2023. Même si le Tribunal avait la possibilité d’imposer une sanction supérieure ou égale à trois fois le montant du bénéfice obtenu (116,9 millions $ CA), étant donné que les frais s’appliquaient au-delà de décembre 2023, il a choisi de se limiter à 38,9 millions $ CA, soit le montant total des revenus tirés des frais de réservation. Le Tribunal a insisté sur un besoin d’équité, notant qu’il s’agissait de la première affaire entendue en vertu des nouvelles dispositions.
Restitution: Le Tribunal a envisagé d’ordonner à Cineplex de procéder à des remboursements, mais a conclu que cette mesure n’était pas pratique en raison de difficultés administratives qu’elle entraînerait, notamment le coût élevé de la distribution de nombreux petits remboursements.
Ordonnance d’interdiction: Le Tribunal a rendu une ordonnance d’interdiction de 10 ans pendant lesquels Cineplex doit s’abstenir de toute pratique trompeuse semblable. Toute violation de telles ordonnances peut avoir des conséquences importantes[1].
Commentaires et points à retenir de la décision
1. Veiller à toujours divulguer les frais obligatoires de façon appropriée
La décision du Tribunal dans l’affaire Cineplex souligne l’importance de présenter tous les frais obligatoires en les incluant dans le prix annoncé ou en les indiquant à côté de celui-ci. Les meilleures pratiques voudraient que les entreprises, à tout le moins, affichent clairement tous les frais obligatoires sur la même page Web, avec la même taille de caractères et bien en vue, « au-dessus du pli ». Une divulgation retardée, notamment en indiquant les frais seulement après avoir présenté un prix initial, peut s’avérer insuffisante au regard des dispositions relatives aux indications de prix trompeuses.
2. Examiner les flux d’achats en ligne et la conception des sites Web
La conception du site Web joue un rôle essentiel pour assurer la conformité. Les entreprises doivent prendre la peine de vérifier que leurs portails de vente en ligne sont conçus de sorte à rendre facilement accessibles tous les renseignements pertinents sur les prix. Les éléments tels que les « rubans flottants », les indicateurs d’urgence comme les minuteries de compte à rebours, ou les boutons d’appel à l’action ne doivent pas induire les consommateurs en erreur ni les inciter à ne pas consulter des renseignements supplémentaires. Les frais obligatoires doivent être affichés bien en vue « au-dessus du pli » et présentés séparément des sous-totaux.
3. S’attendre à des SAP et des obligations de remboursement plus lourdes
L’affaire Cineplex est la première dans laquelle le Tribunal a imposé une SAP importante de 38,9 millions $, soit les revenus que Cineplex a tirés des frais de réservation en ligne jusqu’en décembre 2023. Les sanctions futures pourraient également s’amplifier à la mesure de la conduite incriminée, ce qui pourrait aboutir à des montants encore plus importants. Les entreprises doivent également noter que les demandeurs, y compris le Commissaire et les parties privées, pourraient demander des restitutions, même s’il est probable qu’il leur soit exigé de présenter un plan détaillé d’administration des remboursements aux consommateurs concernés, en tenant compte des défis logistiques connexes.
4. Se préparer à plus d’actions de la part de parties privées
À partir de juin 2025, les parties privées auront le droit d’intenter des poursuites civiles en vertu de la Loi, si le Tribunal l’approuve. Cet élargissement augmente le risque pour les entreprises qui se livrent à des pratiques pouvant être considérées comme trompeuses.
À propos des auteurs
James B. Musgrove est un avocat spécialisé en droit de la concurrence et antitrust au sein du cabinet McMillan.
Hannah Johnson est avocate au sein du groupe Concurrence, antitrust et investissements étrangers chez McMillan.
Mishail Adeel est avocate chez McMillan.