Donald Trump, un danger pour la justice internationale?

Sonia Semere
2025-03-10 14:15:43

Les récentes sanctions de Donald Trump contre la Cour pénale internationale constituent-elles une menace pour la justice internationale ?
C’est l’inquiétude exprimée par Me Justine Bernatchez, avocate québécoise indépendante ayant exercé à la CPI dans une affaire liée aux crimes commis durant la guerre civile en République centrafricaine, survenue entre 2012 et 2014.
Dans un post LinkedIn, Me Bernatchez interpellait l’opinion publique avec une question essentielle : Les dirigeants mondiaux devraient-ils être tenus aux mêmes standards que nous tous ?
Et pour cause, le 6 février dernier, l’ancien président américain signait un décret exécutif autorisant le gel des avoirs et l’interdiction d’entrée sur le territoire américain des représentants de la CPI, ainsi que de toute personne soutenant son travail.
Face à ces sanctions inédites et à leurs implications, Droit-inc a échangé avec l’avocate, le 13 février dernier, quelques jours après les déclarations de Trump.
Pouvez-vous nous expliquer plus en détail ce décret signé par Donald Trump à l'encontre de la CPI?
Il faut tout d’abord rappeler que ce n'est pas la première fois dans l'histoire des États-Unis qu'il y a des sanctions contre la CPI. En 2020, Donald Trump avait fait la même chose, lorsque la Cour avait autorisé des enquêtes contre les États-Unis pour des crimes en Afghanistan.
Cette fois-ci, l’objectif de Trump est de dénoncer les mandats d'arrestation contre des dirigeants israéliens. Ce décret prévoit des sanctions contre toute personne qui est employée par la CPI mais aussi toute personne qui pourrait collaborer avec la CPI. Ça pourrait être des membres de la Défense ou encore des victimes qui donnent des entrevues, des traducteurs, des enquêteurs… Ce nouveau décret est lourd de sens.
Concrètement, en quoi constitue-t-il une menace pour la justice internationale dans son ensemble ?
Il faut rappeler que le principe de la Cour, c’est d’empêcher toute impunité, peu importe la personne qui commet le crime, celle-ci pourrait être amenée devant la Cour. Même si c'est le président d'un pays, même si c'est un haut placé politique…il y a toujours un organe qui va être là pour s'assurer qu'il y ait une poursuite.
Là, ça vient créer comme un précédent de dire « les États-Unis ont fait ça, ils mettent des sanctions contre la CPI parce qu'ils enquêtent sur Israël ». Qu'est-ce qui empêcherait n'importe quel autre pays de dire « Ah, si vous enquêtez, on va mettre des sanctions également ».
Il y a quand même un effet positif, c'est que tout cela crée un mouvement dans la justice internationale.
Ce décret ne risque-t-il pas également de renforcer les critiques selon lesquelles la CPI manque d’impartialité et épargne les dirigeants des grandes puissances ?
En effet, il y a beaucoup de critiques à l’encontre de la CPI concernant une justice à deux vitesses, surtout en ce qui concerne le fait que la majorité des enquêtes et des poursuites concernent des événements et des personnes originaires du continent africain.
Cependant, c’est quelque chose qui a changé récemment, notamment les mandats d’arrêt contre Poutine, les mandats d’arrêt contre des dirigeants russes, les mandats d’arrêt contre des dirigeants israéliens, les situations au Venezuela, aux Philippines, etc.
La CPI a essayé de renverser les critiques ces dernières années, et malheureusement, alors que la Cour renverse la donne, ce sont les États qui, d’un seul coup, viennent bousculer la justice pénale internationale.
Il faut aussi ajouter qu’il est certain qu’il y a eu beaucoup d’enquêtes et de mandats d’arrêt qui ont été portés contre des ressortissants du continent africain, mais il faut aussi rappeler que de nombreuses enquêtes ont aussi été demandées par les pays qui eux-mêmes ont demandé l’aide de la CPI pour juger les responsables des crimes.
Comme vous l’avez mentionné, les mandats d’arrêt à l’encontre de deux leaders israéliens ont fait grand bruit en novembre dernier. Après Vladimir Poutine, il y avait cette idée que de grands dirigeants pouvaient enfin être visés par la CPI. D’un point de vue juridique, quelle est la portée internationale de ces mandats d’arrestation ?
Est-ce que ces mandats d'arrestation vont vraiment être exécutés ? Peut-être, peut-être pas. Néanmoins, ça permet de mettre une pression dans les discussions au sein des pays. C'est aussi un poids diplomatique parce que maintenant, techniquement, ces personnes-là ne pourraient pas voyager dans les pays qui sont des États membres de la CPI.
Peut-être que le poids que la CPI a voulu exercer était d'apaiser les tensions entre les deux pays, en disant : « Regardez, il y a des mandats d'arrestation contre des individus des deux côtés, alors pourquoi ne pas envisager un cessez-le-feu ? ».
Pour les victimes, c'est important aussi…et puis pour chaque humain, c’est important de savoir qu'au final, on n'est pas nés égaux sur certains points mais qu’on peut tous être tenus responsables aux yeux de la justice.