Le vrai visage des avocats LGBT

Céline Gobert
2015-05-15 15:00:00

Cela faisait plusieurs années qu’à la question « Identification comme minorité » du sondage du Barreau du Québec envoyé aux 25 000 membres, Me David E. Platts, président de GRIS-Montréal, organisme qui démystifie l’homosexualité en milieu scolaire, cochait la case « Autres » et y ajoutait la mention « LGBT ».
« Je rêve du jour où tout le monde répondra librement à cette question », indique-t-il à Droit-inc, évoquant la part d’homophobie intériorisée existante chez les avocats et qui pourrait expliquer les maigres chiffres recueillis par le premier sondage anonyme mené par le Barreau.
En effet, sur 25 000 membres, 235 personnes se sont identifiées comme LGBT. Bien peu en regard du 10% de représentativité dans l’échelle de la société. Même si les chiffres sont bas, c’est « un pas dans la bonne direction », assure l’associé. « Il y a des LGBT pour qui cela reste encore une intrusion. Ils ne veulent pas se voir compiler au sein d’un sondage effectué par leur ordre professionnel. »
Ainsi, il connaît certains avocats qui étaient présents au cocktail du 8 avril organisé par le Barreau pour souligner la première année du Groupe de travail LGBT du Barreau et qui ne se sont portant pas identifiés dans le sondage.
Mieux représenter les avocats LGBT

« Les avocats LGBT, contrairement aux avocats racialisés, sont plus invisibles. On ne les identifie pas en se promenant dans les Palais de justice », dit celui qui est aussi président fondateur de la Conférence sur l’identité et l’orientation sexuelle (CORIS) de l’Association du Barreau Canadien (ABC). Selon lui, la constitution d’un tel groupe vise aussi le partage de réalités différentes en rapport avec leur clientèle ou jurisprudence concernant les LGBT.
Certaines personnes ont encore de la réticence à faire valoir qui ils sont, explique Me Charron qui ne cache pas avoir souffert de discrimination lors de ses débuts dans la profession. « Mon patron disait “Heureusement qu’il n’y a pas de gay ici”, ça m’a poussé dans le garde robe pendant plusieurs années, j’ai été obligé de me cacher car j’avais peur (...) », témoigne-t-il dans la vidéo « La réalité LGBT au sein de la profession d’avocat », mise en ligne sur le site du Barreau.
Des gestes banals

C’est elle et Me Louis Charron qui ont approché l’ancienne bâtonnière Me Johanne Brodeur pour pallier à l’absence d’un groupe consultatif LGBT. « On aimerait avoir des LGBT sur tous les comités du Barreau, dit Me Brousseau. La question LGBT est présente partout : en droit criminel, en immigration, en droit fiscal. »
En juillet prochain, l’avocate, également impliquée comme présidente au sein du CORIS, s’envolera vers Guatemala City dans le cadre d’une mission LGBT pour sensibiliser différentes catégories de personnes sur place, dont la communauté juridique. Selon elle, la sensibilisation des avocats doit commencer dès l’université avec la création des comités d’étudiants et doit se poursuivre jusqu’à la magistrature. Elle cite comme exemple le juge Michel Yergeau de la Cour supérieure de Montréal et associé chez Lavery qui a témoigné de son avant et après coming out.

Pour Me Émilie Lebel, avocate à Longueuil se souvenant encore d’un dîner avec un associé qui considérait le fait d’être gay comme une « maladie », les choses auront vraiment changé quand elle ne ressentira plus « d’appréhension » à l’annonce de son homosexualité. « Est-ce que je vais déranger quelqu’un ? Est-ce que je vais mettre quelqu’un mal à l’aise ? », s’interroge-t-elle dans la vidéo du Barreau.
Moins visible, plus facile ?

Elle se souvient encore d’un juge qui s’obstinait à l’appeler Monsieur lorsque sa consoeur l’appelait Madame. « J’agis exactement comme toute femme normale, dit-elle, mais on ne peut pas forcer les gens, on ne peut que s’imposer. »
Bien qu’elle soit multidiplômée, cela fait quinze ans qu’elle attend un poste de juge. Avec plus de sept diplômes en poche, dont une Maîtrise en administration des affaires à l'Université Laval, une licence en droit à l’Université Laval et des attestations en common law, elle sent que le fait de ne pas obtenir de poste n’est pas seulement lié à ses compétences.
« Je suis curieuse de voir quel serait le bureau d’avocats prêt à m’embaucher », dit la formatrice pour le Barreau du Québec qui enseigne entre autres le droit des affaires et le droit du travail au Département des sciences de la gestion et au Département des sciences infirmières de l'Université du Québec à Rimouski depuis 1984.
Elle se souvient d’une fois, à Paris, alors qu’elle assiste à une émission animée par Julie Snyder, elle entend les gens commenter son passage « Ah ! Regarde le travelo !». Puis, Julie Snyder la reconnaît et s’exclame: « Micheline ! Mon amie avocate ! ». « J’étais passée du travelo à la grande avocate ! dit Me Montreuil, ajoutant que la perception des gens change selon qui lui ouvre la porte.
« Mais si l’on veut être perçu normalement, il faut vivre soi-même normalement. Je n’ai qu’une vie à vivre et c’est ainsi que je veux la vivre », conclut-elle.
Sur 25 000 membres du Barreau du Québec, 235 personnes se sont identifiées comme étant LGBT.
186 d’entre eux sont des hommes et 49 des femmes.
Près de 33% d’entre eux travaillent soit dans la fonction publique ou parapublique, dans un syndicat, dans un ordre professionnel ou dans un organisme à but non lucratif. Une proportion de 28% exercent en pratique privée tandis que 12% oeuvrent en entreprise.
De ce groupe, dont la moyenne d’âge, est d’environ 40 ans, 10% ont indiqué provenir de la région de Québec, contre 23% des régions et 67% de la région de Montréal. En moyenne, les membres LGBT comptent 13 années de pratique.