Les jugements pas toujours traduits nuisent à l’accès à la justice
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Delphine Jung
2017-04-10 14:15:00
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Le document dit : « Les plaignants ont fait valoir que des décisions étaient affichées dans une langue seulement et qu’une traduction n’était pas disponible jusqu’à plusieurs mois, voire plusieurs années, après l’affichage de la décision originale ».
La CLO rappelle dans son rapport que « conformément à la loi, les décisions affichées sur les sites internet des cours fédérales doivent être simultanément dans les deux langues officielles ».
Une situation déjà critiquée en 2014 par les avocats en immigration notamment. Mais aussi par Pierre Devinat, traducteur qui s’est longtemps battu pour la cause. Il a toujours déploré le fait que la Commission de l’immigration et de statut de réfugié, alors qu’il s’agit d’un organisme fédéral, ne traduisait pas systématiquement ses jugements.
« J’ai déposé une première plainte 1996 auprès de la Commission des langues officielles qui m’a répondu en 2001! J’ai aussi fait une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada. Tout en me donnant raison, jamais rien n’a été fait pour améliorer la situation », explique M. Devinat.
Le critère premier évoqué est le budget, mais pour Me Louis Fortier, avocat et traducteur agréé, « ce n’est pas une raison pour ne pas respecter les obligations établies en vertu de la loi sur les langues officielles. C’est d’autant plus malheureux qu’on offrait une maîtrise en traduction juridique à l’Université d’Ottawa et sous Stephen Harper, on a cessé de financer ce programme ».
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Au niveau provincial, et notamment au Québec, les choses sont différentes, puisque la Cour supérieure du Québec et la Cour d’appel du Québec sont soumis à l’article 133 de la loi constitutionnelle de 1867. « Concrètement, cela signifie qu’elles n’ont aucune obligation de rendre des jugements bilingues. Les justiciables peuvent demander des traductions, mais il y aura des délais », explique Stéphane Beaulac, codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques et professeur titulaire à la faculté de droit de l’UdeM.
Me Fortier ajoute : « ce qui est malheureux, c’est que les jugements sont rendus en français, or, pour les matières du droit qui sont aussi valables dans les autres provinces comme le droit de la faillite, les juges anglophones n’auront pas accès à tout ce travail de réflexion produit par nos juges. Leurs jugements ne peuvent pas rayonner hors de la province du Québec ».
Il rappelle par ailleurs que « les sources du droit sont les lois, la doctrine, mais aussi la jurisprudence alors si les jugements ne sont pas traduits, les idées ne circulent pas ».
Il conclut simplement : « au niveau politique, les bottines ne suivent pas les babines… ».