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Non, la Cour suprême du Canada ne préfère pas « personne ayant un vagin » à « femme »

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Radio-Canada Et Cbc

2024-03-18 11:15:46

La doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM, Rachel Chagnon. Source: UQAM
L'utilisation par la Cour suprême du terme « personne ayant un vagin », au lieu de « femme », a été dénoncée par l'Assemblée nationale, ce jeudi…

Une récente chronique du National Post a causé tout un émoi dans le monde politique et sur les réseaux sociaux en postulant qu’un jugement de la Cour suprême du Canada, dans une cause d’agression sexuelle, « implique que la plaignante devrait être désignée comme une personne ayant un vagin » et qu'elle considère l’utilisation du terme « femme » comme problématique. Or, ce n’est pas du tout ce que dit le jugement en question, dans lequel le mot « femme » revient plus d’une soixantaine de fois.

L’expression personne ayant un vagin est employée une seule fois dans l’ensemble du jugement et le contexte dans lequel elle l’est n’a rien à voir avec le supposé caractère problématique du mot « femme ».

L’objectif est plutôt d’expliquer qu'il est raisonnable de croire qu’une personne ayant un vagin est capable de reconnaître la sensation de la pénétration péno-vaginale, même lorsque des facteurs comme l'intoxication sont pris en compte.

Cette idée est au cœur du dossier, parce qu’il implique une plaignante qui a été réveillée en ressentant une pénétration alors qu’elle était en état d’ébriété. Lors du procès, la défense a estimé qu’il était possible qu’elle se soit trompée.

L’agresseur a été condamné en cour de première instance, le juge ayant tranché qu’il était « extrêmement improbable qu'une femme se trompe sur cette sensation ». Ce jugement a ensuite été infirmé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique sous prétexte qu’il reposait sur une hypothèse logique infondée. La Cour suprême du Canada a finalement rejeté cette conclusion et a rétabli le jugement de première instance.

Gros bon sens ou hypothèse infondée?

La règle interdisant les hypothèses logiques infondées est centrale, ici.

La doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l’UQAM, Rachel Chagnon, explique que celle-ci sert à assurer que les juges ne puissent pas se baser sur des préjugés ou des stéréotypes lorsqu’ils portent un jugement. Dans ce cas, l’hypothèse en question – reconnue comme non fondée par le juge de la Cour d’appel – est que toute femme peut reconnaître la sensation d’une pénétration péno-vaginale.

« Le sens commun s’arrête là où le préjugé commence », résume Mme Chagnon. « Un juge peut faire appel à son sens commun pour prendre pour acquises des réalités qui appartiennent au sens commun : par exemple, la Terre est ronde et l’automne suit l’été. Ça permet au juge d’utiliser certains faits qu’il pourra tenir pour acquis, même s’ils n’ont pas été démontrés, parce qu’ils relèvent du gros bon sens.»

Mais il ne faut pas confondre le sens commun avec les préjugés ou les stéréotypes, prévient Rachel Chagnon.

Elle cite en exemple des décisions liées à des agressions sexuelles où des juges estimaient que l’habillement d’une femme qui se promène seule la nuit indique qu’elle consent à avoir des contacts sexuels.

« Pour lutter contre la confusion possible entre les faits issus du sens commun et des choses que l’on présume à cause de préjugés et de stéréotypes, on a développé cette règle disant qu’on ne peut pas se baser sur des hypothèses non fondées », explique-t-elle.

Un passage qui porte à confusion

C’est là que le passage suivant, qui se trouve au paragraphe 109 du jugement de la Cour suprême, entre dans l’équation.

« Lorsqu’une personne ayant un vagin témoigne de manière crédible et avec certitude avoir ressenti une pénétration péno-vaginale, le juge du procès doit pouvoir conclure qu’il est peu probable qu’elle se trompe. Bien que le choix du juge du procès d’utiliser les mots une femme puisse avoir été regrettable et causé de la confusion, dans le contexte, il est clair que le juge estimait qu’il était extrêmement improbable que la plaignante se trompe à propos de la sensation d’une pénétration péno-vaginale parce que les gens, même en état d’ébriété, ne se trompent généralement pas au sujet de cette sensation. Autrement dit, la conclusion du juge reposait sur son appréciation du témoignage de la plaignante. La Cour d’appel a commis une erreur en concluant autrement », peut-on y lire.

La juge de la Cour suprême Sheilah Martin. Source: Cour suprême du Canada
Dans ce cas, le choix des mots « une femme » est qualifié de « regrettable » par la juge de la Cour suprême Sheilah Martin parce qu’il pourrait être perçu comme une généralisation abusive. Or, c’est le mot « une », et non le mot « femme », qui pose problème parce qu’il laisse entendre que c’est le cas pour toute femme en toute situation.

« Quand on regarde le reste du texte, c’est clair que le juge de première instance n’est pas en train de dire que toutes les femmes disent tout le temps la vérité lorsqu’elles disent qu’elles ont été pénétrées ou que toutes les femmes ont une compréhension fine de leur intérieur qui leur permettrait à tout coup de savoir si elles sont pénétrées ou pas », analyse Rachel Chagnon.

« Ce que dit le juge, c’est qu’il a devant lui une jeune femme qui a affirmé quelque chose et qu’il la croit. C’est la distinction que les juges majoritaires (de la Cour suprême du Canada) font dans leur décision. Le juge n’est pas en train de faire une affirmation qui concerne toutes les femmes dans leur ensemble; le juge est en train de faire une affirmation sur le témoin devant lui, qu’il a jugée crédible », poursuit la professeure.

C’est donc pour cette raison que le choix de l’expression « une femme » pouvait « porter à confusion », selon la juge de la Cour suprême, et non pour des raisons liées à l’expression « personne ayant un vagin ».

Motion à l’Assemblée nationale

L’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité, jeudi, une motion qui dénonce « le choix des mots utilisés dans un récent jugement de la Cour suprême pour désigner les femmes », qui reitère l’importance de conserver le mot « femme », et qui se dissocie « de l’utilisation de termes ou de concepts contribuant à invisibiliser les femmes ».

La ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron. Source: Facebook

Le cabinet de la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, n'a pas répondu à nos demandes d'entrevue. Elle l'a toutefois défendue bec et ongles dans une déclaration fournie hier par son attachée de presse au Journal de Montréal. « Notre gouvernement va toujours protéger les droits des femmes. La Cour suprême a utilisé des mots qui tentent de les invisibiliser. C’était important de dénoncer cette pratique », peut-on y lire.

Selon Mme Chagnon, présumer que la Cour suprême du Canada a employé l’expression « personne ayant un vagin » dans son jugement pour éviter d’utiliser le mot « femme » est « un bon exemple d’hypothèse non fondée ».

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