PL 21 : les «signes spirituels autochtones» non visés
Radio -Canada
2019-04-17 13:30:00
Même s’il se dit « peu pratiquant », l’enseignant dans une école secondaire de Montréal Xavier Watso laisse toujours un petit totem – un objet sacré – sur son bureau. Parfois, il lui arrive d’effectuer une cérémonie de purification avec de la sauge dans ses salles de cours.
Aujourd’hui, il s’inquiète de voir ses droits retirés avec l’adoption du projet de loi 21 présenté par le gouvernement caquiste. La semaine dernière, l’enseignant originaire de la communauté abénaquise d’Odanak a fait part de son malaise dans une publication Facebook. Un cri du coeur qui a été entendu et partagé des milliers de fois sur le réseau social.
« En tant que Première Nation, c'est une mauvaise blague que de croire que le gouvernement pourra venir chez nous, sur nos réserves, dans nos écoles, et nous enlever de nouveau notre spiritualité et nos symboles », écrivait-il jeudi dernier, ajoutant craindre une nouvelle crise d’Oka.
En entrevue à Espaces autochtones, l’enseignant en arts dramatiques de 35 ans dit simplement vouloir conserver ses acquis. « On va se défendre bec et ongles pour garder ce qu’on a. (...) On a encore des blessures profondes des pensionnats, on est très méfiants. Le projet de loi 21, quand on réalise que ça pourrait nous affecter, on devient très craintifs », souligne-t-il.
Libre de porter des signes spirituels
Contacté par Radio-Canada, le ministère de l’Immigration du Québec affirme que les enseignants et autres employés de l’État d'origine autochtone vivant dans les réserves et les communautés conventionnées ne sont pas touchés par le projet de loi. « Les organismes autochtones sont exclus lorsqu’ils sont visés par des régimes législatifs distincts », indique le porte-parole du ministère, Marc-André Gosselin.
Par ailleurs, les « signes spirituels autochtones » ne seraient pas visés du tout par le projet de loi 21, ajoute-t-il. Libre donc aux employés autochtones de l’État « en position de coercition » – enseignants mais aussi juges, policiers, procureurs – de porter autour de leur cou des sacs-médecine ou d’exhiber tout autre objet sacré dans le cadre de leur fonction.
Le ministre de l'Immigration Simon Jolin-Barrette n’a toutefois pas voulu se prononcer sur sa définition du mot « spirituel » ou sur la distinction qu’il fait entre « spiritualité » et « religion ». Le projet de loi ne fait pas non plus mention des Autochtones.
Ouvre la porte à l'interprétation
Pour l’historien Sébastien Brodeur-Girard, le projet de loi « ouvre la porte à l’interprétation ». « C’est le problème avec le projet de loi, car il n’y a pas de définition de ce qu’est une religion », affirme le professeur à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT).
« Au niveau académique, de manière générale, il n’y a pas de consensus sur ce qu’est une religion, ce qu’est la spiritualité. La ligne, on la trace selon de nombreux critères différents. La religion peut faire référence à une reconnaissance d’une force supérieure et à des cérémonies pour entrer en relation avec le sacré. La spiritualité autochtone rentre dans cette définition », illustre le professeur.
À l'inverse, si la religion désigne une forme organisationnelle spécialisée dotée de sa propre structure de pouvoir, les croyances autochtones seraient plutôt définies comme une spiritualité.
Le sujet est d’autant plus complexe que des activités telles que la chasse ou la pêche sont souvent associées par les Autochtones à une interprétation spirituelle, rappelle l'historien. « Ça complique l'identification, car ce sont les Européens qui définissent ce qu'est une religion », ajoute-t-il.
L’enseignant Xavier Watso relève par ailleurs que le gouvernement canadien a longtemps banni des pratiques spirituelles autochtones – les pow-wow ou les cérémonies de la hutte de sudation, par exemple. Jusqu’à récemment dans l’armée canadienne, les soldats ne pouvaient pas pratiquer leurs religions ancestrales.
« Je pense que (le gouvernement caquiste) n’avait pas vraiment réfléchi » aux répercussions de la loi sur les Autochtones de la province, estime-t-il. « On ne pense pas que ça peut nous affecter, mais depuis que j’ai publié mon statut Facebook, j’ai plein d’Autochtones qui m’ont écrit pour me dire, effectivement, ça me touche ».