Procès Turcotte acte 2

Julie Couture
2013-09-30 11:40:00
Même si ce jugement ne peut être considéré comme un acquittement, il faisait tout de même en sorte que l’accusé évitait une peine de prison.
C’est plutôt un séjour à l’Institut Pinel qui attendait Turcotte. Après plusieurs évaluations psychiatriques, la Commission d’examen des troubles mentaux l’a ensuite libéré sous condition, vers la fin de l’année 2012, engendrant encore une fois la consternation du public.
Le dossier Turcotte est toutefois loin d’être terminé.
Le 30 septembre 2013, la couronne soumettra à la Cour d’appel les 3 questions suivantes, telles que rédigées dans le mémoire de la couronne :
1. Le juge du procès a-t-il erré en droit en donnant ouverture au verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de trouble mental?
2. Dans ses directives au jury, le juge du procès a-t-il insuffisamment et inadéquatement instruit le jury sur la notion de «trouble mental» au sens de l’article 16 du Code criminel
3. Dans ses directives au jury, le juge du procès a-t-il manqué à son devoir de passer en revue les parties essentielles de la preuve, et de faire le lien entre les éléments de preuve pertinents à la défense de troubles mentaux et le droit applicable en matière de non-responsabilité criminelle?

En résumé, la couronne affirme que la défense de non-responsabilité criminelle n’aurait pas dû être soumise au jury.
« En le laissant entre les mains du jury, le juge du procès a commis une erreur fatale rendant nécessaire la tenue d’un nouveau procès. » (Tiré du Mémoire de la couronne)
Consommation de lave-vitre
La couronne plaidera donc que la défense de non-responsabilité n’aurait pas dû être soumise au jury car le trouble mental a été provoqué en partie, mais de façon importante, par l’intoxication volontaire de l’accusé, soit sa consommation de lave-vitre.
Donc, selon la couronne, puisque Guy Turcotte a lui-même décidé de boire du lave-vitre et que cette consommation a contribué à son état mental « troublé », il n’avait pas le droit d’invoquer la défense de troubles mentaux.
Des directives du jury considérées inadéquates
L’invraisemblance de la défense de non-responsabilité n’est pas le seul argument qui sera plaidé par la poursuite. Elle demandera aussi à la Cour d’appel de se pencher sur les directives du juge au jury.
Ces directives qui sont attaquées par la couronne, car selon elle, le juge aurait dû expliquer beaucoup mieux au jury la notion de « trouble mental » et aurait dû résumer davantage au jury les témoignages des experts. Des témoignages très longs et complexes, mais excessivement importants dans ce procès.
La couronne affirme donc que même si la Cour d’appel rejetait son premier argument, le jury a quand même fait une erreur en choisissant ce verdict et que cette erreur a été causée par de mauvaises explications du juge à la fin du procès.
La réplique de la défense
Lorsque la couronne aura fait entendre ses arguments, la défense aura bien sûr le droit de répliquer à chacun de ceux-ci. Me Pierre Poupart, avocat de Guy Turcotte, sera présent à la Cour d’appel pour répliquer à la poursuite, mais son client n’étant pas obligé d’assister aux débats en appel, ce dernier risque de briller par son absence.
Les arguments de la couronne attaqués
Tout d’abord, la défense plaidera le 30 septembre que la couronne ne peut pas invoquer en appel un argument qu’elle a choisi de ne pas invoquer lors du procès initial.
Alors qu’en appel, la couronne affirme que les crimes ont été causés en grande partie par l’intoxication au lave-vitre, au procès, elle tentait de démontrer que l’intoxication de Turcotte était minime.
En effet, son but était que le jury puisse en venir à la conclusion que Turcotte n’était pas intoxiqué au point de ne pas pouvoir préméditer les meurtres. Sans la préméditation, Turcotte aurait en effet bénéficié d’une peine moins sévère.
De plus, la défense allègue que la couronne n’a pas contesté le caractère de vraisemblance de la défense de non-responsabilité en première instance et qu’elle ne peut pas changer de stratégie en appel en la contestant soudainement.

Ainsi, le fait que l’intoxication au lave-vitre ait contribué à l’état mental de l’accusé ne l’empêche pas de pouvoir être déclaré non-criminellement responsable si le jury décide que ses troubles mentaux l’ont poussé à faire les gestes reprochés, intoxication ou non.
Aussi, l’intoxication de lave-vitre elle-même n’est pas volontaire, selon la défense, car Turcotte était alors plongé dans une crise suicidaire aiguë où son seul but était de mourir, n’ayant plus de libre arbitre et la maîtrise de son corps.
La défense plaidera que les directives données par le juge étaient tout à fait correctes et que son résumé de la preuve au jury a été fait de « manière adéquate et qu’elles ont fait les liens nécessaires entre les éléments de preuve pertinents et le droit applicable en matière de non-responsabilité criminelle, de telle sorte que le jury a bien compris les questions factuelles à trancher et les éléments de preuve qu’il devait prendre en considération » (tiré du mémoire de la défense).
Ensuite, la défense allègue que le juge a bien fait de ne pas résumer les témoignages d’experts, préférant laisser au jury le soin de les réexaminer à leur façon et de les interpréter eux-mêmes. Un résumé du juge de ces témoignages longs et complexes aurait été risqué, et le juge a quand même pris la peine de bien expliquer les différents désaccords entre les experts.
Le juge a même mis en garde les jurés que ceux-ci n’étaient pas liés par les suggestions du juge ou des avocats de s’attarder davantage sur telle ou telle preuve, mais qu’ils devraient plutôt les considérer dans leur ensemble.
Finalement, la défense argumentera à l’effet que la couronne ne s’est pas objectée aux directives du juge au moment du procès, ce qui affaiblit ses arguments en appel, et qu’elle n’a pas démontré que même si les directives avaient été différentes, le verdict n’aurait pas été le même.
L’appel dans l’affaire Turcotte sera bientôt dans tous les journaux et sur tous les téléviseurs. Cette histoire continue d’attiser les passions, peu importe l’opinion.
De plus, n’oublions pas que peu importe l’issue de l’appel, le dossier a de bonnes chances de se rendre jusque devant la Cour suprême du Canada.
Passionnée par le droit et engagée dans sa corporation, Me Julie Couture a siégé sur un comité au Barreau du Québec qui concernait la conciliation travail-famille.
Maintenant membre du Barreau de Laval, Julie Couture a longtemps été membre du barreau de Longueuil où elle a lancé son cabinet d’avocats.
Elle a fait ses débuts avec Me Marco Labrie, Me Alexandre St-Onge ainsi que Me Michel E. Boucher, avocats criminalistes qui l’accueillirent en stage à leur bureau.