Rozon échoue à faire reporter son procès au civil
Radio-Canada Et Cbc
2024-12-10 10:15:45
Les témoignages des présumées victimes débutent devant la Cour supérieure.
Au palais de justice de Montréal, le procès civil commun de neuf femmes qui allèguent avoir été agressées sexuellement par Gilbert Rozon s'est ouvert lundi, malgré la tentative de l'ex-patron de Juste pour rire de le faire reporter.
Les avocats de Gilbert Rozon sont Me Mélanie Morin, Me Pascal Pelletier et Me Laurent Debrun.
Les avocats des neuf femmes sont Me Bruce Johnston, Me Anne-Julie Asselin et Me Jessica Lelièvre du cabinet Trudel Johnston & Lespérance.
La juge Chantal Tremblay, de la Cour supérieure du Québec, a rejeté la requête des avocats de Gilbert Rozon, qui affirmaient qu'une loi entrée en vigueur la semaine dernière était de nature à priver leur client d'une défense pleine et entière.
Cette loi améliore la protection et le soutien des personnes victimes de violence et modifie la procédure lors de poursuites civiles en matière d'agressions sexuelles. En vertu de ces nouvelles dispositions, les avocats des neuf femmes qui poursuivent Gilbert Rozon auraient pu s'opposer à des questions se basant, à leurs yeux, sur des mythes et des stéréotypes.
Un compromis a été trouvé lundi pour éviter la remise du procès. En entrevue à l'émission Isabelle Richer, sur ICI RDI, la directrice générale de Juripop, Sophie Gagnon, a expliqué que « le procès va se dérouler comme si la loi n'était pas en vigueur ». Puis, lors des plaidoiries finales, les parties pourront faire des représentations pour déterminer si les réponses et les faits présentés lors du procès sont couverts, ou non, par la présomption de non-pertinence contenue dans la loi.
Après un refus de la Cour d’appel d’autoriser l'action collective intentée contre l'ex-producteur, neuf femmes ont entrepris de poursuivre sur une base individuelle l'homme d'affaires déchu, à qui elles réclament près de 14 millions de dollars au total.
Au terme des 43 jours d'audience prévus dans ce procès devant se clore le 28 mars prochain, toutes ces femmes auront témoigné. Il s'agit d'Anne Marie Charette, d'Annick Charette, de Guylaine Courcelles, de Danie Frenette, de Sophie Moreau, de Martine Roy, de Mary Sicari, de Patricia Tulasne et de Lyne Charlebois, qui a été la première à être appelée à la barre, lundi.
Gilbert Rozon nie toutes les allégations qui pèsent contre lui. Ces agressions sexuelles présumées se seraient échelonnées sur une vingtaine d'années, de 1980 à 2000.
De plus, huit autres femmes seront entendues par le tribunal, bien qu'elles n'aient jamais porté plainte contre Gilbert Rozon. Ces huit femmes allèguent aussi avoir été victimes d'agressions et de harcèlement de la part de l'ex-patron du groupe Juste pour rire.
Dans cette cause, les neuf femmes qui tentent d'obtenir réparation doivent convaincre la cour que « la répétition de ces affaires » illustre que l'ex-producteur avait un modus operandi, explique Me Gagnon de Juripop. Ces témoignages visent à ajouter « de la crédibilité à chacune des réclamations individuelles ».
Pour chacune des neuf demanderesses, la juge Tremblay devra se prononcer sur les aspects suivants :
- Gilbert Rozon a-t-il commis une faute?
- Y a-t-il eu un préjudice et, si oui, quelle est sa valeur?
- Y a-t-il un lien de causalité entre la faute et le préjudice?
Les conclusions auxquelles en viendra la juge seront indépendantes les unes des autres.
En décembre 2020, Gilbert Rozon avait été acquitté au criminel des accusations de viol et d'attentat à la pudeur portées contre lui par Annick Charette, l’une des demanderesses dans le cadre du procès civil qui s’est amorcé lundi.
Début du procès
Au jour un du procès, l'une des avocates de M. Rozon, Mélanie Morin, a déclaré au tribunal que son client avait eu des relations consensuelles avec trois des femmes qui le poursuivent, mais qu'il nie tout acte répréhensible.
Me Morin a souligné que les allégations avaient émergé pendant le mouvement « Moi aussi ». Selon elle, « on cherchait notre Weinstein du Québec », en référence au producteur de cinéma américain déchu.
L’avocate soutient qu'il y avait un « modus operandi », mais que ce sont les plaignantes et non M. Rozon qui l'ont utilisé. Elle a entre autres noté que les victimes se sont organisées rapidement, et a affirmé qu'elles ont contaminé les souvenirs les unes des autres.
De son côté, Bruce Johnston, l'un des avocats représentant les demanderesses, a déclaré à la juge Chantal Tremblay que la poursuite avait l'intention de prouver que Gilbert Rozon était un « véritable prédateur ».
Il estime que M. Rozon avait découvert que s'il ne montrait aucun intérêt, puis qu'il changeait ensuite d'attitude tout d'un coup, la victime se figeait. L'avocat a souligné qu'il s'agit bien d'une agression sexuelle, même si certaines personnes ne les comprennent pas.
Me Johnston a demandé s'il était raisonnable de croire que les neuf femmes aient pu inventer leurs plaintes.
Me Johnston a fait remarquer que lorsque les avocats ont interrogé M. Rozon lors des procédures préliminaires sur la motivation des femmes, il avait répondu qu'elles étaient jalouses de lui, qu'elles voulaient de l'argent et qu'elles cherchaient à se faire connaître.
D’après Me Johnston, cela démontre une profonde incompréhension, qui est pire à revivre qu'une agression.
Un premier témoignage
La première à témoigner a été la réalisatrice de cinéma et de télévision Lyne Charlebois.
Mme Charlebois, qui réclame 1,7 million de dollars en dommages et intérêts compensatoires et punitifs, a décrit un incident survenu en 1982 où elle était allée dîner avec son petit ami de l'époque et M. Rozon. Elle et l'accusé allaient ensuite prendre un verre pour discuter d'une occasion d'emploi, lorsqu'il a dit qu'il avait besoin de s'arrêter chez lui pour changer de chemise, a-t-elle affirmé.
Quand elle est entrée, il a mis de la musique et a commencé à fumer du cannabis et une agression a commencé. Elle s'est figée alors qu'il l'aurait agressée sexuellement dans la chambre. Mme Charlebois affirme se souvenir plus clairement de cette nuit que de la naissance de son fils, décrivant l'agression comme la peur de sa vie.
Lyne Charlebois affirme en avoir parlé à ses proches à l'époque, mais elle a dit qu'elle avait honte de ce qui s'était passé et qu'il ne lui était pas venu à l'esprit d'aller à la police. Ce n’est qu’en 2017 qu’elle a fait une déclaration, avec d'autres afin de dénoncer Gilbert Rozon.