Un emploi à vie, ça existe
Jean-Francois Parent
2022-07-14 15:00:00
C’est Gilbert Rozon qui fait l’offre, « pour s’assurer de ne pas perdre » l’employé qui travaille alors tant pour Gestion Juste Pour Rire, la société de M. Rozon, que les nombreuses filiales du groupe, dont notamment Juste Pour Rire TV et le Festival Juste Pour Rire.
Quinze ans plus tard, le magnat du rire est pris dans la tourmente #MoiAussi et vend les parts de ses entreprises à ses partenaires. Tout en transférant la promesse faite à André Gloutnay qu’il bénéficie d’un emploi à vie.
Or, ces derniers mettent fin à l'emploi de M. Gloutnay en 2019 car ils n'ont plus besoin de ses services, après 25 ans à l’emploi du Groupe Juste Pour Rire.
D’où: litige, alors que le demandeur Gloutnay a poursuivi Gilbert Rozon et Gestion JPR.
Gestion JPR était représenté par Me Catherine Gagné et Me Mark-Anthony Nakis, de Blakes. Ces derniers n’ont pas donné suite à notre demande de commentaire, ni précisé s’ils porteraient la décision en appel.
Gilbert Rozon était représenté par Me Jean-François Towner et Me Léanne Nagy-Bureau, de Jeansonne Avocats.
Mais pourquoi un litige en droit du travail s’est-il retrouvé en Cour supérieure, et non devant le Tribunal administratif du travail? « C’est en raison de la nature contractuelle de l’affaire que le dossier a été plaidé en Cour supérieure selon les dispositions du CCQ et non pas au TAT en vertu de l’article 124 LNT », explique Me Bruno-Pierre Allard, de Chabot Médiateurs-Avocats, qui représentait M. Gloutnay avec l’aide de sa collègue Me Julie Hamelin.
Devant le TAT, le recours n’aurait pas été recevable car il y a eu abolition de poste, précise Me Allard.
Les faits
André Gloutnay, reconnu comme le « fantôme de l’humour » dans une biographie dédiée à Juste pour rire, a poursuivi son ex-employeur et le fondateur de Juste pour rire solidairement pour la somme de 732 000 dollars. Outre le paiement de son salaire depuis qu’il a été licencié, dans une demande déposée lundi au palais de justice de Montréal.
Début février 2019, JPR rencontre M. Gloutnay pour lui annoncer que son emploi « ne cadrait plus dans l’organisation actuelle ». L’entreprise lui offre alors un an de salaire, ainsi que de payer pour les services d’une firme de placement et transition de carrière.
Sauf qu’en 2004, M. Gloutnay avait signé avec JPR et Gilbert Rozon un contrat de travail stipulant qu’« à travers les entreprises Juste pour rire, il lui fournira un emploi permanent à vie », une convention d’emploi que la nouvelle direction de JPR, Bell et Evenko, refusait de reconnaître.
La Cour supérieure, sous la plume du juge Marc St-Pierre, vient de trancher le 13 juillet dernier dans un jugement dont Droit-Inc a obtenu copie: JPR doit verser à André Gloutnay son salaire depuis la fin de son indemnité de fin d’emploi, en plus de réintégrer M. Gloutnay dans son ancien emploi.
Des dommages moraux de 20 000 dollars sont également accordés au demandeur.
Cependant, le juge St-Pierre exempte Gilbert Rozon de la responsabilité de participer aux frais, se rangeant aux arguments de ce dernier selon lesquels ce n’est pas lui qui s’est engagé personnellement vis-à-vis de l’ex-employé mais qu’il l’a plutôt fait au nom des personnes morales qui existaient au moment de la prise de l’engagement pour un contrat à vie.
Il en va de même pour les autres filiales de Gestion JPR, le juge ne retenant que la responsabilité de l’employeur, Gestion JPR.
Les questions en litige
Plusieurs questions étaient en litige, notamment celles de savoir si la clause garantissant un emploi à vie au demandeur était transférable. Le juge répond que oui, puisque Gilbert Rozon a dû diminuer le prix de vente de ses parts pour justement tenir compte de cet engagement d’emploi à vie, ce que les acheteurs des parts ont accepté.
Autre question en litige, et pour laquelle la Cour supérieure vient de créer un précédent: Est-ce que l’engagement d’un emploi à vie est valide considérant que le code civil prévoit qu’un contrat de travail doit être soit à durée déterminée ou indéterminée et est-il contraire à l’ordre public?
On fait référence ici à 2091 CcQ, qui dispose qu’un emploi à durée indéterminée peut être terminé moyennant un délai de congé.
La défense a bien tenté de plaider que l’employé ne pouvant s’engager pour la vie, la garantie ne doit pas être valide. Sauf que le juge St-Pierre en a décidé autrement, puisque les défendeurs ont témoigné ne pas vouloir « imposer une telle obligation au demandeur et le document lui-même crée une garantie à sens unique ».
En clair, parce qu’une garantie d’emploi à vie à été consentie, cela n’implique pas que l’employé est pour autant obligé de rester en emploi toute sa vie.
En fait, la cour n’a pas à décider la nature de la clause d’emploi, ni de sa durée. Il fallait seulement déterminer si 2091 CcQ s’applique.
La réponse est non. De plus, la garantie d’emploi à vie n’est pas contraire à l’ordre public.
Il s’agissait enfin de déterminer si la réintégration dans le poste est possible.
Selon le juge, l’ex-employeur Gestion JPR ne peut pas plaider contre la réintégration dans un emploi qui n’existe plus, puisqu’il « a été aboli en contravention de son engagement ».
« Dans les circonstances, la réintégration sera accordée bien que le tribunal soit conscient qu’il s’agisse d’un remède exceptionnel et probablement d’un précédent au Québec dans un contexte purement civil », estime le juge St-Pierre.
Anonyme
il y a 2 ansCe que je ne comprends pas, c'est qu'au 21è siècle, des personnes traitent les relations de travail comme si on était encore à l'époque de la révolution industrielle ou pire au moyen-âge. Qui utilise des expressions comme "emploi à vie" pour convaincre ou rassurer quelqu'un?