Un pédophile de « bonne moralité » peut devenir avocat
Didier Bert
2023-09-08 15:00:00
C’est ce que dit le Tribunal du Barreau de l’Ontario, qui autorise A.A. à exercer la profession d’avocat, bien que l’homme ait admis avoir abusé sexuellement d’enfants.
A.A. avait déposé une demande de permis, que le Barreau de l’Ontario avait rejetée. L’ordre des avocats s’était opposé à ce que A.A. puisse devenir avocat un jour, compte tenu de son passé pédophile.
Mais le quadragénaire a obtenu du Tribunal du Barreau, une cour indépendante de l’ordre des avocats, de considérer sa « bonne moralité » et ainsi l’autoriser à être assermenté.
Abus sexuels et mensonges
En 2009, le demandeur « s'est livré à des actes d'abus sexuels sur des enfants mineurs, y compris l'un de ses enfants, qui impliquaient de les toucher et d'être touché par eux lorsqu'ils étaient vêtus », indique le jugement. « Sa conduite a été révélée lorsque le père de l'un des enfants l'a confronté. »
Le demandeur, étudiant en religion à l’époque, parle alors de ces faits à un chef religieux, à un travailleur social, à sa femme de l’époque et à l'agence locale de protection de l’enfance. Mais il n’est pas accusé pénalement. Une surveillance continue est réalisée par sa famille quand il est en présence de mineurs. Cette surveillance demeure durant une décennie.
Un an plus tard, le demandeur part habiter avec sa famille dans un autre pays. Il minimise les faits lorsqu’une source anonyme informe l’agence locale de protection de l’enfance au sujet de ses abus sexuels antérieurs sur des enfants.
Le demandeur finit par abandonner ses études religieuses pour se consacrer à des études en droit.
En 2012, de retour au Canada, il dépose une première demande de permis d’avocat, sans évoquer les faits de pédophilie. C’est une lettre anonyme qui conduit le Barreau de l’Ontario à ouvrir une enquête. « Au cours de cette enquête, il a continué à retenir des dossiers médicaux et des informations sur son inconduite sexuelle grave », mentionne le jugement.
Jusqu’en 2017, le demandeur continue d’omettre ou de reconnaître les faits. C’est alors qu’il entreprend des mesures dans le but « de vivre avec honnêteté et intégrité et d'apprendre à parler de ses comportements ». Il assiste à des séances thérapeutiques individuelles et à une thérapie de groupe. Il abandonne sa demande de licence d’avocat auprès du Barreau, avant de la déposer à nouveau quelques années plus tard.
Surveillance requise en présence d’enfants
Devant le tribunal, plusieurs témoins ont souligné l’engagement du demandeur dans son changement, notamment un mentor religieux, des membres de sa famille, l’assistante de son psychologue et un membre du réseau de soutien par les pairs.
Le psychiatre qui l’a évalué considère que « le demandeur souffre d'un trouble pédophile en rémission. Bien qu'il ait eu des symptômes dans le passé, il n'a plus les signes et les symptômes. » Le demandeur présenterait désormais moins de risque que la plupart des hommes « compte tenu de son manque d'antécédents criminels et du passage du temps depuis les incidents de 2009 ».
Le psychiatre a toutefois recommandé que le demandeur ne participe pas à « des activités qui l'amèneraient en contact avec des femmes ou des enfants sans surveillance ». Il devrait également poursuivre sa thérapie de groupe et demeurer vigilant.
Après avoir rappelé que le demandeur d’une licence d’avocat doit être de bonne moralité, le Tribunal du Barreau a aussi rappelé que le demandeur a commis trois actes d’abus sexuels, suivis de huit années de « malhonnêteté ».
Mais le tribunal constate que « depuis lors, le demandeur a été ouvert et diligent en reconnaissant sa conduite passée et son impact et a activement cherché un traitement pour son dysfonctionnement sexuel. » Et la cour dit le croire que le demandeur, représenté par Michelle Haigh, « a fait face à son passé, qu'il a été franc et qu'il vit avec remords ».
Aussi, le Tribunal du Barreau constate que « beaucoup de temps s'est écoulé depuis l'inconduite grave qui a eu lieu en 2009 et que ses actions depuis 2017 montrent une tentative sincère et concertée de s'attaquer non seulement à l'inconduite sexuelle historique, mais aussi de s'attaquer à son incapacité à être franc, franc et ouvert à propos de cette inconduite avec sa famille, ses médecins et le Barreau au cours du processus initial d’autorisation. »
Le tribunal se dit « convaincu que le demandeur a établi qu'il est actuellement une personne de bonne moralité et que sa demande de licence devrait être accordée ». Le jugement précise avoir « examiné son offre de s'engager à ne pas rencontrer des enfants mineurs dans des lieux non supervisés et conclu que la confiance du public dans la réglementation des avocats et des parajuristes serait renforcée par un terme qui exige qu'il ne le fasse pas. »
Le Barreau fait appel
Le Barreau de l’Ontario n’entend pas se satisfaire de la décision du tribunal. Il a déposé un appel de cette décision. « Compte tenu de l'intérêt public que suscite cette décision, le Barreau souhaite s'assurer que le public sache où en est de cette affaire », pointe l’ordre des avocats par communiqué.
Représenté par Me Louise Hurteau et Kristina MacDonald, le Barreau de l’Ontario a également déposé une demande de suspension de la décision du tribunal en attendant le jugement en appel. Cette suspension empêcherait A.A. de pratiquer le droit même s'il devenait titulaire d’une licence, tant que la décision d’appel ne sera pas rendue.
Le Barreau considère que le tribunal a commis une erreur en « interprétant mal la preuve d'une manière qui a eu un impact sur son analyse sur la question centrale de savoir si le défendeur était de bonne moralité », affirment les procureurs dans l'avis d'appel. « La décision est déraisonnable et ne peut pas être maintenue. »
Le Barreau de l’Ontario pointe notamment « des preuves obtenues à l'audience selon lesquelles le demandeur n'était pas franc, y compris le fait qu'il n'a jamais révélé qu'il avait cessé de prendre du Lupron, un médicament qui agit comme une castration chimique, dès qu'il est revenu au Canada ».
De plus, l’avis d’appel mentionne que A.A. vit avec ses jeunes enfants, y compris celui avec lequel il avait eu des relations sexuelles, sans être suivi par un médecin et sans prendre de Lupron, « mettant ainsi à nouveau en danger ses jeunes enfants et d'autres personnes ».
Le tribunal a également commis une erreur en « n'accordant pas suffisamment d'importance au maintien de la confiance du public dans les professions juridiques », argumente l’avis d’appel.
Le Barreau s’oppose aussi à l’ordonnance de non-divulgation de l’identité de A.A, et « conteste la poursuite de son application dans le cadre de son appel ».
Charles Dupuis ll.l.
il y a un anAvec respect pour toute opinion contraire, il en va de l'image de la profession et celle de la Justice.
L'intérêt général devrait recevoir préséance sur celui de son individu.
À mon humble avis, si cette personne a été reconnue coupable d'une telle infraction après avoir subi un procès juste, équitable et répondant à tous les critères prescrits, il ne devrait d'aucune manière pouvoir adhérer au Barreau.
La pratique de la profession d'avocat est un privilège, pas un droit.
Anonyme
il y a un an"La pratique de la profession d'avocat est un privilège, pas un droit."
Cette distinction droit/privilège est souvent invoquée par des avocats arrivés à cours d'argument, mais ces derniers n'expliquent jamais ce qui différentie les deux, ni en vertu de quoi un refus pourrait être fondé sur une telle distinction.
Le privilège s'accordait autrefois par sa Majestée, suivant son bon vouloir.
Comment pourrait-il y avoir de la place dans le Canada d'aujourd'hui pour l'exercice d'un tel arbitraire, alors que les prérogatives exécutives du monarque sont exercées par des agents de l'état dont l'action est encadrée par des lois?