À vos marques!
Nicolas Charest Et Michael Shortt
2022-07-19 11:15:00
Cette décision rappelle à la fois, les risques inhérents à se fier uniquement à des ententes verbales plutôt que de recourir à des contrats écrits de licences d'utilisation de marques, et que les propriétaires de marques de commerce doivent contrôler de quelles manières leurs licenciés utilisent leurs marques de commerce.
Résumé des faits
Milano Pizza Ltd (« Milano Pizza ») octroyait des licences de marques de commerce à des pizzerias de la région d'Ottawa. Les contrats de licences étaient souvent conclus à l'oral et rarement consignés par écrit. Ces contrats prévoyaient l'achat de produits de marque auprès de fournisseurs désignés par Milano Pizza ainsi que l'octroi de territoires définis en échange de la possibilité pour les licenciés d'utiliser les noms « Milano Pizza » ou « Milano Pizzeria ».
L'entreprise 6034799 Canada Inc., également connue sous le nom de Milano Pizzeria – Baxter, était titulaire d'une licence de Milano Pizza jusqu'à ce que le contrat de licence soit résilié par Milano Pizza en juin 2016. Malgré cette résiliation, 6034799 Canada Inc. a continué à exercer ses activités en utilisant l'enseigne originale de Milano Pizzeria, ses menus, et même la publicité de cette dernière dans les médias sociaux. Elle avait toutefois adopté un nouveau logo pour sa façade. Milano Pizza a intenté une poursuite contre 6034799 Canada Inc., alléguant une violation de son droit exclusif dans la marque dessin Milano et demande un jugement déclaratoire et une injonction. 6034799 Canada Inc. a pour sa part déposé une demande reconventionnelle visant à obtenir la radiation de l'enregistrement de la marque Milano.
Invalidité de l'enregistrement du dessin-marque Milano
Un jugement sommaire rendu en 20181 a rejeté certaines demandes, notamment des demandes reconventionnelles, formulées antérieurement par les parties, de sorte que la seule question qui subsistait lors du procès était celle de la validité de la marque dessin Milano (la « Marque »). L'entreprise 6034799 Canada Inc. a contesté le fait que Milano Pizza ait accordé à l'un ou l'autre des propriétaires exploitants de Milano Pizzeria une licence valide pour l'utilisation de la Marque. Dans la négative, l'enregistrement de la marque Milano serait invalide. Pour se prononcer sur cette question, la Cour a examiné si Milano Pizza exerçait un contrôle adéquat sur les licences de la Marque, conformément au paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce (la « Loi »). Ce paragraphe de la Loi stipule que, pour protéger une marque utilisée par des tiers, le propriétaire de la marque doit exercer un contrôle suffisant sur les caractéristiques ou la qualité des produits et services vendus en utilisant une marque de commerce sous licence. Si le contrôle est insuffisant ou absent, le caractère distinctif de la marque du concédant (le propriétaire de la marque) risque de disparaître, ce qui peut entraîner la radiation de l'enregistrement de la marque de commerce.
En somme, la Cour a conclu dans cette affaire que la Marque n'était pas distinctive pour deux raisons. Premièrement, Milano Pizza n'a pas réussi à démontrer qu'elle contrôlait les caractéristiques ou la qualité des services fournis par les licenciés qui utilisaient la Marque. Deuxièmement, la Cour a conclu que la coexistence et l'utilisation antérieure de la marque PIZZERIA MILANO par une entreprise tierce non affiliée située à Masson, au Québec, empêchaient Milano Pizza d'invoquer tout caractère distinctif acquis par l'usage de la Marque.
a) Absence de contrôle, direct ou indirect, à l'égard des produits et des services faisant l'objet d'une licence
Compte tenu de l'ensemble des contrats de licence en vigueur entre Milano Pizza et ses licenciés, la Cour a reconnu que Milano Pizza exerçait une certaine forme de contrôle sur la qualité et les caractéristiques des ingrédients utilisés par ses licenciés (la production). Les licenciés devaient effectivement se procurer les ingrédients pour leurs pizzas auprès de fournisseurs désignés. La Cour a toutefois déterminé que cette forme de contrôle était insuffisante pour invoquer le paragraphe 50(1).
La Cour a donc conclu que Milano Pizza n'exerçait pas un contrôle adéquat sur la qualité des produits finis. Elle a déclaré que Milano Pizza n'avait pas exercé un contrôle suffisant sur les pizzas et les autres produits offerts sur le menu des licenciés en réalisant, par exemple, des échantillonnages périodiques ou réguliers. Milano Pizza n'a imposé aucune norme uniforme concernant ces produits alimentaires. La Cour a précisé qu'une marque faisant l'objet de licences doit être soumise à un contrôle approprié qui doit inclure la supervision de la production et celle du produit fini.
Elle a également conclu que Milano Pizza ne s'est jamais prévalue d'un droit d'inspection. En effet, Milano Pizza a omis de prévoir un droit d'inspection dans ses contrats de licence et n'a d'ailleurs pas été en mesure de démontrer qu'elle avait inspecté ou approuvé les produits et autres aliments. Une telle conduite est incompatible avec la jurisprudence pertinente qui exige de prévoir, au minimum, le droit d'effectuer une inspection annuelle de même que le droit de résilier la licence si les produits ne sont pas conformes; des mesures qui démontrent qu'un contrôle adéquat est exercé conformément au paragraphe 50(1) de la Loi. Bref, un concédant doit inspecter régulièrement ses licenciés et documenter les conclusions de ces inspections à titre du contrôle qu'il doit exercer sur sa marque sous licence.
b) Existence d'une PIZZERIA MILANO non affiliée
Un autre problème relatif au caractère distinctif de la marque résidait dans la longue coexistence d'une autre pizzeria indépendante située à Masson, au Québec. Cette pizzeria a exercé ses activités sous la marque PIZZERIA MILANO et utilisé le même menu et la même enseigne pendant plus de 40 ans. La Cour a estimé que les similitudes entre les marques des deux entreprises et le fait qu'elles travaillaient dans le même secteur signifiaient que la marque MILANO PIZZA n'était plus distinctive d'une source unique. L'importance de cette coexistence est un rappel important que les marques déposées ont une portée nationale. Les propriétaires de marques et les concédants doivent donc surveiller l'utilisation de leurs marques de commerce à l'échelle du Canada et faire valoir leurs droits au besoin pour éviter que leurs marques ne perdent leur caractère distinctif en raison de la coexistence de marques semblables qui pourraient porter à confusion. Autrement, leurs enregistrements de marques sont susceptibles de faire l'objet d'une procédure de radiation fondée sur l'absence de caractère distinctif. L'utilisation de la marque par des tiers n'a pas besoin d'être généralisée; dans le présent cas, un seul concurrent fut suffisant pour invalider la Marque.
Décision de la Cour
Cette décision constitue un excellent rappel des règles de base en matière de licences de marques : 1) les licences de marque de commerce devraient être consignées sous forme de contrats écrits; 2) les contrats doivent prévoir les droits d'inspection et de contrôle du concédant, et ces droits doivent s'étendre aux caractéristiques et à la qualité des produits finis du licencié et non seulement aux éléments utilisés lors de la production; 3) le concédant doit exercer avec diligence ses droits d'inspection et de contrôle prévus par le contrat de licence; 4) le propriétaire de la marque de commerce doit surveiller toute utilisation non autorisée de la marque, même à petite échelle. Le non-respect de ces règles fondamentales peut facilement conduire à l'invalidation de la marque, comme dans le cas présent.
Si vous souhaitez officialiser vos accords de licence conclus oralement ou demander à un avocat de vérifier la conformité de vos contrats de licences écrits avec la Loi sur les marques de commerce, n'hésitez pas à contacter l'équipe de spécialistes des marques de commerce de Fasken.
#''Milano Pizza Ltd. v. 6034799 Canada Inc., 2018 FC 1112, (CanLII)''
Me Nicolas Charest est avocat au sein du groupe de propriété intellectuelle du bureau de Montréal de Fasken. Me Michael Shortt y est associé et agent de marques de commerce. Il consacre sa pratique au litige et au droit transactionnel.