Accords de droits de dénomination: dans un aréna près de chez vous
Sébastien Vézina, Eric Lavallée Et Alexandre Turcotte
2023-10-24 11:15:00
Ces ententes résultent d’un mariage de valeurs à des fins commerciales entre deux marques qui partagent des objectifs bien définis. Dans ce bulletin, nous répondrons à deux questions fondamentales : comment fonctionnent ces accords et quels en sont les objectifs?
Comment définir un accord de droits de dénomination? Un accord de droits de dénomination est un contrat entre une entreprise et un exploitant ou un propriétaire d’un lieu, d’un bâtiment, d’un événement ou d’une installation. Dans le cadre de cet accord, l’entreprise obtient le droit exclusif de nommer ce lieu, ce bâtiment, cet événement ou cette installation en contrepartie de paiements de redevances ou d’autres avantages.
Cela permet à l’entreprise de bénéficier d’une visibilité accrue en associant son nom ou sa marque de commerce au lieu, au bâtiment, à l’événement ou à l’installation, en contrepartie de quoi l’entité propriétaire ou exploitante se voit verser une redevance pour soutenir ses activités ou augmenter sa profitabilité. Les accords de droits de dénomination sont couramment utilisés pour la dénomination de stades, d’amphithéâtres et d’événements sportifs.
Soulignons que les accords de droits de dénomination sont différents des accords de commandite (sponsorship agreements). Un accord de commandite est un autre type d’entente permettant à une entreprise d’obtenir une quelconque visibilité à l’occasion d’un événement. On peut penser à la Banque Royale du Canada qui a conclu un accord de commandite avec le Club de hockey Canadien afin d’afficher son logo sur le chandail de l’équipe sportive.
Une des différences fondamentales entre les accords de commandite et les accords de droits de dénomination est leur durée. Un accord de commandite est une entente à plus courte durée (généralement de 3 à 5 ans) qu’un accord de droits de dénomination (de 5 à 20 ans, parfois même plus).
Un marché qui ne cesse de gagner du terrain
Signe de l’importance des accords de droits de dénomination, plus de 90% des équipes sportives évoluant dans les cinq plus grandes ligues professionnelles en Amérique du Nord en ont conclu un.
En Europe, le sport de loin le plus populaire est le soccer. La popularité des accords de droits de dénomination dans ce sport ne se compare pas aux ligues nord-américaines, mais tout laisse croire que ces chiffres ne feront qu’augmenter dans les années à suivre.
Quels sont les principaux objectifs poursuivis par les accords de dénomination ?
Bien que la majorité des équipes sportives en Amérique du Nord aient conclu un accord de droits de dénomination, la fréquence à laquelle un stade ou un amphithéâtre change de dénomination demeure modeste en raison de la durée de ces accords.
Les entreprises sont prêtes à investir considérablement pour décrocher ces accords pour plusieurs motifs, notamment dans l’objectif de conclure une entente avec un partenaire qui partage ses valeurs, de bénéficier d’un outil de financement, de consolider des intérêts commerciaux ou de pénétrer un marché défini.
En 2017, l’aréna accueillant les Maple Leafs de Toronto (LNH) ainsi que les Raptors de Toronto (NBA) a changé de nom, passant du Centre Air Canada à l’Aréna Scotiabank. En vertu de l’accord, Scotiabank déboursera annuellement un montant rapporté de 40 000 000 $ pendant 20 ans pour maintenir le nom de l’infrastructure. Il s’agissait alors d’un record.
Le nouveau record divulgué publiquement appartient dorénavant à l’Aréna Crypto.com, précédemment le Centre Staples, qui accueille les deux équipes de basketball (NBA) de Los Angeles, les Lakers et les Clippers, ainsi que les Kings de Los Angeles au hockey (LNH). Crypto.com s’est entendu en 2021 pour payer près de 50 000 000 $ par an pendant 20 ans.
En plus du récent changement de dénomination du Complexe sportif CN, on se rappellera qu’en 2018, le stade Uniprix,qui reçoit notamment le tournoi de tennis de l’Omnium Banque Nationale, est devenu le stade IGA.
Lors de la conclusion de l’accord du stade IGA, Eugène Lapierre, vice-président principal de Tennis Canada, avait souligné : « IGA accorde beaucoup d’importance à une saine alimentation alors que de notre côté, on travaille fort pour développer le tennis au Canada. Nos objectifs se rejoignent. »
De même, France Margaret Bélanger, présidente, sports et divertissement du Groupe CH, a confirmé ce mariage de valeurs entre les Canadiens de Montréal et le CN : « En plus d’être un chef de file mondial dans le secteur des transports, le CN est une illustre entreprise canadienne basée à Montréal depuis plus de 100 ans, tout comme nos Canadiens. »
On comprend alors que ces entreprises ont été minutieusement choisies sur la base de leurs points en commun qui évoquent un partage de valeurs entre ces entreprises et les exploitants du stade IGA et du Complexe sportif CN.
Le choix du partenaire, un enjeu stratégique primordial dans le cadre d’un accord de dénomination?
Le choix des entreprises dont le nom ou la marque de commerce sera affiché sur un établissement est d’ailleurs essentiel. Un propriétaire ou un exploitant voudra éviter de s’associer avec une entreprise possédant une identité incompatible ou dont les valeurs ne concordent pas.
Quelques exemples de choix discutables nous viennent à l’esprit :
Le stade de baseball des White Sox de Chicago avait changé de nom de U.S. Cellular Field à Guaranteed Rate Field en 2016. Ce changement de nom a suscité la controverse et plusieurs moqueries de la part du public.
En effet, les White Sox sont considérés comme une marque renommée, connue dans le milieu du sport et bénéficiant d’un prestige imposant. D’un autre côté, Guaranteed Rate est une entreprise locale, qui était alors inconnue de plusieurs et ne pouvait tout simplement pas supporter le poids d’une équipe de renommée que sont les White Sox.
Les réseaux sociaux se sont enflammés à l’époque, donnant certes davantage de visibilité à Guaranteed Rate, qui a donc atteint son objectif de se faire connaître!
En dehors de l’industrie sportive, un autre exemple est le Toronto Transit Commission (TTC), l’exploitant du système de transport en commun de Toronto, qui a annoncé en avril 2023 vouloir examiner la possibilité de vendre les droits de dénomination des stations de train ou de métro – idée que le TTC avait également annoncée en 2011.
Les oppositions ont été vives. « Cela va faire de la TTC une plaisanterie », avait déclaré Rami Tabello, représentant de la Toronto Public Space Initiative. « Cela va transformer notre identité civique et lui donner un prix. Nous devons dire que notre ville n'est pas à vendre ». Imaginez : « Prochaine station, station Pepsi »!
Comment bien définir la structure d’accords de droits de dénomination?
Bien que les parties aux accords de droits de dénomination soient libres de négocier leurs ententes, certains éléments devraient s’y retrouver afin d’assurer une bonne relation à long terme.
L’accord devrait être suffisamment complet et précis pour permettre aux deux parties de se dissocier aisément et rapidement dans le cas d’un événement perturbateur ou controversé ou qui pourrait porter atteinte à l’image de marque ou à la réputation de l’autre partie.
En général, ces accords prévoient une clause de résiliation dans le cas de défaut ou de rupture de contrat de la part de l’autre partie. Il est donc important de clairement identifier ce qui constitue une telle rupture ou un tel défaut.
Au même titre que les bandes numériques, certains espaces de la patinoire, ou encore les publicités sur le casque ou l’écusson du chandail, les droits découlant d’un accord de droits de dénomination représentent un inventaire d’actifs de choix à monétiser à travers plusieurs instruments financiers.
Non seulement ces accords peuvent être monétisés au moment de leur conclusion, mais aussi par suite d’une cession à titre onéreux auprès d’une tierce partie, tel qu’à un investisseur alternatif; d’où l’importance de mettre en place des accords de droits de dénomination flexibles et cessibles qui permettront ce type de manœuvre et de monétisation.
Il s’agit alors d’un instrument additionnel de financement permettant aux parties d’accéder à des liquidités immédiates.
Propriété intellectuelle et droit des marques de commerce : quelles précautions prendre?
Les accords de droits de dénomination facilitent souvent la création de nouvelle propriété intellectuelle liée à cet usage conjoint de marques de commerce. Selon le droit des marques de commerce, le titulaire d’une marque doit, et généralement est présumé, exercer un contrôle sur les produits et services associés à sa marque de commerce.
De plus, lorsqu’un nouvel usage s’étend à de nouveaux services découlant de l’accord de dénomination, il est recommandé de vérifier si les enregistrements relatifs à la marque de commerce sont suffisants ou s’ils doivent être étendus.
Enfin, lorsque l’accord de droits de dénomination prend fin, il ne faut pas que le partenaire ait acquis de manière permanente des droits sur la marque de commerce. L’accord doit donc s’assurer de bien circonscrire les droits de propriété et les modalités entourant cette propriété intellectuelle découlant de l’accord de droits de dénomination.
De plus, il est important de baliser la responsabilité civile découlant de l’usage de la marque de commerce. On peut penser à la fois à indemniser le propriétaire de la marque de commerce des usages de cette marque par le partenaire, et réciproquement à indemniser le partenaire dans l’éventualité où la marque de commerce enfreindrait la propriété intellectuelle de tiers.
Dans tous les cas, le titulaire d’une marque de commerce ne pourra pas tolérer un usage de sa marque de commerce qui excède ce qui est permis dans l’accord, en faisant là un des cas de défaut contractuel.
Amérique du Nord et Europe : deux réalités différentes?
Les accords de droits de dénomination génèrent d’importants revenus pour les équipes sportives. Une équipe ne pouvant pas sécuriser de partenaire pourrait être désavantagée par rapport à d’autres concurrents au sein d’une même ligue, voire même d’autres sports.
Il s’agit de la réalité de plusieurs clubs de soccer européens qui ont plus de difficultés à trouver des entreprises pour conclure des accords de droits de dénomination qu’en Amérique du Nord.
On peut nommer les Hotspur de Tottenham, basés à Londres, en Angleterre, qui n’ont pas trouvé d’entreprise à qui vendre les droits de dénomination de leur nouveau stade depuis 2019. Le club éprouve aujourd’hui d’importantes difficultés financières et tente d’accueillir d’autres événements que le soccer (concerts, boxe, parties de la NFL, etc.) afin de pallier les revenus manquants.
En Europe, les accords de droits de dénomination ne sont pas aussi répandus qu’en Amérique du Nord. Cet écart s’explique notamment par la réaction des partisans des différentes équipes. En Europe, le soccer a une histoire plus traditionnelle et les partisans sont réticents au changement ou à l’idée de « vendre » un stade emblématique à une entreprise.
De l’autre côté de l’océan, les emblèmes sont fréquemment liés aux entreprises qui bénéficient d’accords de droits de dénomination.
Afin de comprendre ce phénomène, il suffit de se tourner vers la ville de Pittsburgh et son stade de football américain accueillant les Steelers. Ce stade était dénommé le Heinz Field depuis plus de 20 ans en vertu d’un accord impliquant, bien évidemment, la compagnie Heinz. Le stade arborait deux bouteilles géantes de ketchup Heinz sur le tableau indicateur.
En juillet 2022, l’accord étant expiré, le stade a été renommé Acrisure Stadium et les bouteilles de ketchup Heinz ont été retirées. Les partisans des Steelers ont rapidement réclamé le retour des bouteilles qui représentaient pour eux un emblème pour l’équipe. Art Rooney II, propriétaire légendaire des Steelers, a cédé à ces demandes en début d’année et une des bouteilles a été réinstallée à l’extérieur du stade près d’une des entrées.
Il faut savoir que la compagnie Heinz a été fondée en 1869 à Pittsburgh par Henry J. Heinz et que son siège social y est demeuré jusqu’à présent. La famille Heinz à Pittsburgh est emblématique et iconique. Ainsi, pour les Pittsbourgeois, Heinz est bien plus qu’une marque de ketchup ou une entreprise de transformation alimentaire, il s’agit pour eux d’une part de leur histoire et de leur culture qui fait partie du tissu social. La bouteille Heinz du stade de football n’était pas seulement un coup de marketing, mais un symbole pour la communauté et la ville de Pittsburgh.
En conclusion
D’une manière insoupçonnée, les retombées des accords de droits de dénomination se glissent discrètement dans notre vie quotidienne, agissant en tant que vecteur d’émotions et exerçant une influence sur notre expérience de certains événements et lieux, tout en alimentant notre attachement émotionnel envers certaines organisations sportives.
Sébastien Vézina est associé au sein du groupe droit des affaires du cabinet Lavery.
Reconnu par les clients pour ses fortes aptitudes en relations interpersonnelles, son sens aigu des affaires et sa disponibilité, ses conseils stratégiques et juridiques sont toujours adaptés à la réalité d’affaires des entreprises et organisations qu’il accompagne.
Eric Lavallée est avocat et agent de marques de commerce au sein du groupe droit des affaires et dirige le Laboratoire juridique Lavery sur l’intelligence artificielle.
Alexandre Turcotte est membre du groupe droit des affaires au sein du cabinet Lavery. Il concentre sa pratique en fusions et acquisitions, valeurs mobilières et financement d'entreprise.
Dans le cadre de sa pratique, il conseille et représente tant les entreprises privées que des institutions publiques dans le cadre d'importantes transactions et opérations commerciales.