Ah Gator! Le Canada demande qu’un acquéreur d’un désinvestissement précédent se départisse de ses investissements dans des minéraux critiques

Joshua Chad, William Wu Et Courtney Aucoin
2025-04-09 11:15:18
Focus sur un récent avis de demande déposé par le procureur général du Canada auprès de la Cour fédérale…
Le 11 février 2025, le procureur général du Canada a déposé un avis de demande (« Avis ») auprès de la Cour fédérale afin qu’elle rende une ordonnance obligeant Gator Capital Ltd. à se départir de ses actions dans Lithium Chile Inc.. Cette demande fait suite à une ordonnance de dessaisissement rendue en novembre 2022 en vertu du régime d’examen relatif à la sécurité nationale (« Examen ») prévu par la Loi sur Investissement Canada (« LIC »).

Cette ordonnance exigeait que Chengze Lithium International Limited se départisse de l’investissement qu’elle détenait dans Lithium Chile, une société d’exploration et de développement minier établie en Alberta. Chengze a vendu son investissement à Gator en 2023. Cependant, Gator n’était peut-être pas l’acheteur idéal pour le désinvestissement des actions de Lithium Chile.
C’est la première fois que le gouvernement du Canada s’adresse aux tribunaux pour faire appliquer le régime d’Examen prévu par la LICet la soumission de cet Avis indique que le gouvernement est déterminé à sévir dans ses examens prévus par la LIC pour protéger les intérêts canadiens, en particulier en ce qui concerne les minéraux critiques.
Gator devient l’acquéreur des actions de Lithium Chile dans le cadre du désinvestissement
Comme nous l’avons décrit à l’époque, en novembre 2022, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie a ordonné trois désinvestissements de participations minoritaires dans des entreprises canadiennes de minéraux critiques détenues par des investisseurs chinois. L’une des entreprises était Chengze, qui a reçu l’ordre de se départir de sa participation minoritaire dans Lithium Chile dans les 90 jours au profit d’une partie qui n’était ni une filiale de Chengze, une entreprise d’État chinoise, ni une société soumise à l’influence du gouvernement chinois.
Le lithium est un minéral critique figurant sur la liste des minéraux critiques du Canada et est considéré comme essentiel à la sécurité nationale du Canada puisqu’il contribue à garantir la sécurité énergétique du pays. Conformément à la LIC, le ministre peut ordonner aux investisseurs sous contrôle étranger de se départir d’investissements qui pourraient « porter atteinte à la sécurité nationale (du Canada) ».
En février 2023, Chengze a indiqué au gouvernement qu’elle s’était départie de sa participation dans Lithium Chile au profit de Gator. Toutefois, l’Avis indique que le gouvernement n’avait pas confirmé que Gator répondait aux critères appropriés d’acheteur de désinvestissement avant la transaction.
Dans le communiqué de presse de 2023 annonçant l’investissement de Gator au titre du désinvestissement, cette société est décrite comme une société d’investissement, de conseil et de gestion d’actifs. L’Avis indique que Gator a été constituée en société en décembre 2022 et que son siège social est situé à Toronto, au Canada. La société compte un directeur, M. Wing Hong Chan, qui agit également à titre de président.
Le gouvernement enquête sur les origines de Gator
Tout au long des mois d’avril et de mai 2023, la Direction générale de l’examen des investissements étrangers et de la sécurité économique (« DGEIESE ») d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada a tenté, sans succès, de communiquer avec M. Chan en utilisant les coordonnées fournies par Chengze.
Elle a entre autres envoyé à M. Chan trois demandes de renseignements distinctes. En outre, le gouvernement a appris que l’adresse de la société enregistrée par Gator n’était en fait qu’une boîte aux lettres louée. À la fin d’avril, la DGEIESE a communiqué avec Lithium Chile pour obtenir de nouvelles coordonnées et a obtenu une adresse courriel pour l’adjoint.e de M. Chan.
Du 8 juin 2023 au 5 décembre 2023, le gouvernement a présenté trois mises en demeure à Gator en vertu de la LIC. La première mise en demeure du 8 juin 2023, ainsi que les trois demandes de renseignements initiales envoyées en avril et en mai, visaient à déterminer si Gator était une société sous contrôle canadien, une société d’État chinoise ou une société assujettie à l’influence de la Chine.
Les demandes comprenaient des questions sur la structure de propriété et de gouvernance de Gator, la source de ses fonds pour des investissements potentiels, sa relation d’entreprise avec Chengze et des détails sur M. Chan. Les demandes de renseignements et la mise en demeure du 8 juin ont été envoyées par courrier à l’adresse du siège social de Gator et à l’adresse courriel de M. Chan. Quelques demandes ont également été envoyées à l’adresse courriel de l’adjoint.e de M. Chan.
L’ensemble du courrier recommandé a été retourné à l’expéditeur et aucune réponse n’a été donnée aux courriels. À la suite du défaut de Gator de répondre à la mise en demeure, le 23 octobre 2023, le ministre a publié une déclaration selon laquelle Gator n’est pas une entité sous contrôle canadien, ce que le ministre peut faire lorsqu’une personne refuse ou omet de lui fournir les renseignements demandés dans un délai raisonnable.
Également le 23 octobre 2023, le ministre a signifié sa deuxième mise en demeure qui visait à déterminer s’il existait des motifs raisonnables de croire que l’investissement de Gator dans Lithium Chile pourrait porter atteinte à la sécurité nationale. Après cette deuxième mise en demeure, également restée sans réponse, le gouvernement a présenté une autre demande de renseignements, le 24 novembre 2023, afin d’obtenir des renseignements semblables, et n’a reçu aucune réponse.
Le 5 décembre 2023, le gouvernement a signifié sa troisième et dernière mise en demeure, cette fois dans le but de déterminer si l’investissement de Gator pourrait porter atteinte à la sécurité nationale du Canada, et n’a pas non plus reçu de réponse.
À partir du 5 décembre 2023, le Gouvernement a tenté plusieurs fois, au moyen de différentes plateformes de communication, de contacter M. Chan, sans succès. Il a finalement réussi à le joindre par téléphone en juin 2024, soit bien après les dates limites pour recevoir des réponses à toutes les mises en demeure et demandes de renseignements que le Gouvernement avait envoyées. L’Avis indique que, pendant cet appel, M. Chan a admis qu’il avait reçu les demandes de renseignements et les mises en demeure, mais n’avait malgré tout pas fourni de réponses. Bien qu’il ait renvoyé la troisième mise en demeure après cet appel téléphonique, le gouvernement indique dans l’Avis qu’il n’a pas eu d’autres nouvelles de M. Chan.
Le gouvernement prend des mesures contre Gator
Si un non-Canadien ou toute autre personne ou entité ne se conforme pas à une mise en demeure du ministre prévue par la LIC, le ministre peut présenter une demande d’ordonnance judiciaire à une cour pour assurer l’exécution. Dans cette affaire, le gouvernement a présenté une demande à la Cour fédérale. La Cour dispose d’un large éventail de pouvoirs lui permettant d’ordonner à l’entité de se conformer à toute ordonnance qu’elle juge juste en vertu de la LIC, comme le fait de se conformer à la mise en demeure du gouvernement, de payer une pénalité, d’exiger le désinvestissement d’un investissement ou de punir pour outrage quiconque omet ou refuse de se conformer à une ordonnance.
Le gouvernement demande à la Cour de rendre une ordonnance contre Gator pour son défaut de se conformer à la troisième mise en demeure du gouvernement. Dans l’Avis, le gouvernement demande à la Cour d’ordonner à Gator de se départir de ses actions dans Lithium Chile au profit d’un fiduciaire approuvé par la Cour dans les 30 jours suivant la délivrance de l’ordonnance ou, si Gator omet de le faire, d’ordonner qu’elle transfère ses actions à un tel fiduciaire. Si la Cour refuse d’ordonner le désinvestissement, le gouvernement demande à la Cour d’ordonner à Gator de répondre à la troisième mise en demeure que le gouvernement lui avait adressée en juin 2024. Le gouvernement demande également une sanction pécuniaire contre Gator à titre de mesure punitive pour ne pas s’être conformée à la LIC.
Application future de l’Examen prévu par la LIC
Les investisseurs et les entreprises canadiennes devraient tenir à l’œil les lignes directrices concernant les Examens : Les investisseurs non-canadiens et les entreprises canadiennes sont encouragés à continuer de surveiller les Lignes directrices sur l’examen relatif à la sécurité nationale des investissements, qui ont été mises à jour récemment, soit le 5 mars 2025, afin d’inclure la « sécurité économique » à titre de nouveau facteur pertinent pour les Examens. Il est important de savoir à quel moment une transaction peut donner lieu à un examen relatif à la sécurité nationale.
Le gouvernement prend la sécurité nationale au sérieux: Le gouvernement semble avoir donné à Gator et à M. Chan suffisamment de temps pour répondre à ses mises en demeure. Toutefois, si un investisseur ne se conforme pas à la loi, le gouvernement est disposé à utiliser des mécanismes d’application officiels pour s’acquitter de son mandat de protéger la sécurité nationale du Canada.
Les investisseurs qui envisagent d’investir au Canada et les entreprises canadiennes à la recherche d’investissements étrangers voudront évaluer attentivement si leur transaction pourrait soulever des questions en vertu du régime d’Examen prévu par la LIC.
À propos des auteurs
Joshua Chad est un avocat du cabinet McMillan dans le domaine de la concurrence, de l’antitrust et des investissements étrangers.
William Wu mène une pratique diversifiée et dynamique en droit de la concurrence/antitrust, des investissements étrangers et du commerce international chez McMillan.
Courtney Aucoin est stagiaire chez McMillan.