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Chacun a le droit inaliénable d’être une ordure

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Véronique Robert

2011-04-08 08:30:00

L’avocate criminaliste Véronique Robert représente des criminels depuis des années. Elle commente ici ce qu’il faut maintenant appeler « L’Affaire Cantat ». Un point de vue qui en surprendra plus d’un…
Je représente des accusés de crimes, graves et moins graves, et aussi des gens condamnés à purger des peines, sévères et moins sévères. Il va sans dire que je respecte tous les droits de mes clients, droits que je défends au quotidien, du mieux que je peux, le plus souvent envers et contre tous.

Lorsqu’on est condamné pour un meurtre au deuxième degré, au Canada, on reçoit automatiquement une peine de prison à perpétuité, avec une possibilité de libération conditionnelle après 10 à 25 ans, selon le cas. J’insiste sur « possibilité » et « conditionnelle », car cette libération n’est jamais automatique dans le cas d’un meurtre, et elle n’est jamais inconditionnelle.

Lorsqu’on commet un meurtre et qu’on est condamné pour un crime moindre, comme l’homicide involontaire, soit faute de preuve de l’intention de tuer, soit parce qu’on a négocié un plaidoyer de culpabilité, entre autres pour éviter un procès, on risque la prison à perpétuité, mais dans les faits on reçoit une peine de 5 à 12 ans de prison, environ, je n’ai pas fait de statistiques.

Homicide involontaire ou meurtre au second degré?

Grossièrement, lorsqu’un individu reçoit une peine clémente de 5 ans de prison pour un homicide involontaire, c’est qu’il s’agissait réellement, factuellement, d’un homicide involontaire. L’exemple du coup de poing qui tourne mal. Le geste commis par Bertrand Cantat, c’est un meurtre au second degré, parce que chaque personne est sensée avoir prévu la conséquence de ses actes. Démolir le visage de quelqu’un à coups de poing, lui liquéfier le cerveau à force de secousses, ce n’est pas un homicide involontaire, c’est un meurtre au deuxième degré, c’est –à-dire un meurtre non prémédité.

Est-ce que Bertrand Cantat aurait pu, au Canada, être condamné pour un homicide involontaire malgré une accusation initiale de meurtre? Bien sur. Entre autres en invoquant –et en prouvant- son intoxication comme moyen de défense, niant ainsi l’intention spécifique de tuer. Ou encore en avouant sa culpabilité, en plaidant coupable, en évitant un procès. Pourquoi sommes-nous plus cléments lorsqu’intervient un plaidoyer de culpabilité? Parce qu’en principe il fait preuve de repentir, et qu’il n’y a pas de réhabilitation sans repentir. Aussi parce que le plaidoyer de culpabilité évite à la société les coûts du procès, et à la victime ou à sa famille le coup du procès. Voilà pour le droit de la sanction pénale en matière d’homicides, volontaires ou involontaires, au Canada et, plus généralement, en Common Law.

Maintenant, rien n’interdit à la personne libérée d’un crime de travailler, pour autant que le travail n’est pas lié à l’antécédent judiciaire. Un pédophile ne peut jamais travailler dans une garderie. Un fraudeur ne peut jamais travailler dans une banque. Un jeune homme qui se reconnait coupable d’un homicide involontaire sur sa mère ne sera jamais avocat . Il s’agit d’exceptions à l’interdiction de discrimination fondée sur les antécédents judiciaires.

Payé sa dette, vraiment?

Personne ne prétend que Bertrand Cantat n’a pas le « droit » de faire de la musique, ou même de monter sur une scène. L’analyse selon laquelle il a le droit, Mouawad a le droit, Pintal a le droit, tout comme nous avons le droit de ne pas apprécier, est une analyse simpliste. Aussi simpliste est ce laïus seriné depuis trois jours qu’il a « payé sa dette envers la société ». Ça ne veut rien dire, avoir payé sa dette, car c’est relatif à l’opinion et aux émotions du créancier que nous sommes comme citoyens. D’ailleurs, parmi ceux qui scandent que Bertrand Cantat a payé sa dette, nombreux sont ceux qui jugent que Vincent Lacroix n’a pas payé la sienne. L’un a été condamné à huit ans de réclusion pour un meurtre et en a purgé trois; l’autre a été condamné à douze ans de réclusion pour une fraude et en a purgé deux.

À partir du moment où quelqu’un est libéré de sa peine, oui, il a presque tous les droits. Mais la décence, l’empathie, le bon goût, le savoir vivre, le savoir être, le repentir, le respect, j’en passe et j’en oublie, ne relèvent pas du droit, ils relèvent de l’éthique, et je dirais même du bon sens.

Bertrand Cantat qui se produit en spectacle, Bertrand Cantat qui se vautre sous les projecteurs, Bertrand Cantat qui cherche les applaudissements; Wajdi Mouawad qui l’invite à le faire, Lorraine Pintal qui le lui permet et le TNM qui le paye, ça relève d’un manque de bon goût et de bon sens.

Mais il n’y a aucune loi contre la dégueulasserie. Oui, ce geste de faire monter Cantat sur les planches d’un grand théâtre huit ans après un tel homicide est une dégueulasserie, envers la victime, la mémoire de la victime devrais-je dire, envers sa famille, envers les autres victimes de telles violences, et même envers les enfants de Cantat qu’on expose injustement à ce spectacle violent.

Je ne suis pas miséricordieuse? Je pratique en droit criminel depuis 10 ans. Et je n’ai jamais ressenti cette sympathie, je n’ai jamais entendu le moindre cri en faveur d’aucun de mes clients qui pourtant n’ont jamais osé manquer autant de dignité. J’ai un jeune client actuellement qui a presque fini de purger sa peine en maison de thérapie et qui vient d’apprendre qu’il ne pourra jamais réaliser son rêve de devenir ambulancier en raison de son antécédent judiciaire de vol qualifié. Où sont vos protestations, bonnes gens?

Elle me fait rire, Lorraine Pintal, avec la grandeur d’âme de son pardon. Elle me fait rire, Lysanne Gagnon, avec son plaidoyer en faveur de la liberté. Il me fait rire, Patrick Gauthier, avec son éloge de l’artiste mal aimé. Votre pardon, votre croyance en la réhabilitation, votre parti pris pour la liberté, ne sont qu’un mouvement de l’élite, pour l’élite. Même chose pour le coup de provocation de Wajdi Mouawad : hypocrisie bourgeoise.

La réhabilitation, c'est de cesser le cycle de la délinquance; La réinsertion, c'est de réintégrer la société; Le repentir, c'est le repentir... Se foutre sous les projecteurs en cherchant les applaudissements laisse quiconque songeur quant au repentir. Parce qu'il y a quelque chose d'inexorablement indécent pour la famille de la victime, et de toutes les autres victimes, dans ce geste ostentatoire, et attentatoire.

« Je souhaite qu’il ne refasse jamais carrière en France » avait dit en 2008 Jean-Louis Trintignant, le père de la défunte. Si Cantat était réhabilité, il aurait entendu, et respecté.

Véronique Robert, avocate de la défense en droit criminel
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