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Dowd c. Binette : l’expertise et la déférence après Vavilov

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Nikolas De Stefano

2022-04-04 11:15:00

Un avocat analyse une récente décision de la Cour d’appel concernant un refus d’appel de la Cour supérieure. Que s’est-il passé ?
Me Nikolas De Stefano, l’auteur de cet article. Source: LinkedIn
Me Nikolas De Stefano, l’auteur de cet article. Source: LinkedIn
La nuit du 2 novembre 2012 deux policiers circulent à Mirabel lorsqu’ils aperçoivent un véhicule noir qui « arrive à toute allure » et s’arrête brusquement devant un panneau d’arrêt. Les policiers remarquent cette conduite erratique et décident simplement d’allumer leurs gyrophares à titre d’avertissement.

Une trentaine de minutes plus tard, ce même véhicule noir file à travers une intersection en forme de T, heurte un trottoir et s’enfonce dans un arbre. Le conducteur descend de sa voiture, demande à des témoins de ne pas appeler le 911, fait un appel sur son cellulaire et, quelques minutes plus tard, quitte les lieux dans une camionnette. Des témoins remarquent que le conducteur sent l’alcool.

Cette camionnette sera éventuellement interceptée par des policiers différents qui interrogeront le conducteur de la voiture noire. Le conducteur se plaint alors d’une douleur au cou et il est transporté à l’hôpital en ambulance. Le rapport des ambulanciers indique qu’il dégageait une odeur d’alcool.

Les policiers n’enquêtent pas de manière rigoureuse le conducteur. Ils ne prennent aucune note, ne consignent pas les déclarations des témoins, n’interrogent pas les passagers du conducteur et ne lui font pas passer un test de coordination des mouvements. Les policiers notent une absence de délit de fuite à leur rapport et mettent fin à l’enquête.

Les policiers impliqués sont tous cités en déontologie. Devant le Comité de déontologie policière, les policiers sont reconnus coupables de fautes déontologiques en raison de leur refus d’entreprendre une enquête sérieuse. Les policiers tentent de porter en appel cette décision mais sont déboutés en Cour du Québec.

Siégeant en révision judiciaire, la Cour supérieure casse la décision de la Cour du Québec en énonçant que suite à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême « il n’y a plus de déférence dans l’examen des décisions des tribunaux administratifs spécialisés lorsque le législateur a prévu un droit d’appel ».(1)

La Cour d’appel vient, à bon droit, nuancer ces propos et renverse la décision de la Cour supérieure.

La Cour d’appel rappelle que lorsque le législateur prévoit un mécanisme d’appel d’une décision administrative c’est la norme d’intervention en appel qui prévaut et non la norme de la décision raisonnable. La Cour cite l’article 83.1 de la ''Loi sur les tribunaux judiciaires'' et explique ce qui suit :

(36) On constate qu’il existe une distinction entre une fonction juridictionnelle et administrative. Bien que la rédaction de cet article ne soit pas des plus claires, on comprend que la norme de la décision correcte s’applique dorénavant aux questions de droit tranchées lors de l’exercice d’une fonction juridictionnelle, alors que les autres questions sont soumises à la norme de l’erreur manifeste et déterminante. C’est ce qui s’applique en l’espèce. La norme de la décision correcte s’applique toutefois pour toutes les questions tranchées dans l’exercice d’une fonction administrative.

(49) Le changement apporté par la Cour suprême en ce qui concerne le pourvoi en contrôle judiciaire ne fait pas disparaître la déférence lorsqu’un tribunal siège en appel d’une décision d’un tribunal administratif. Cette déférence s’exprime maintenant différemment. Alors que, jusqu’à l’arrêt Vavilov, la déférence était liée à l’expertise du tribunal administratif, elle se limite maintenant aux questions de fait ou mixtes et se fonde sur la position privilégiée du décideur qui entend la preuve et l’apprécie.

(50) L’arrêt Vavilov a écarté l’obligation de faire preuve de déférence lorsqu’il y a un appel d’une décision d’un tribunal administratif sur une question de droit. Pour les autres questions (de fait ou mixtes), la déférence demeure. Il s’agit de celle applicable à une cour d’appel envers la décision d’un tribunal de première instance sur les questions de fait ou mixtes. Il ne peut donc y avoir d’intervention qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante.

De plus, la Cour d’appel vient clarifier la pertinence de la notion d’expertise du décideur administratif suivant ''Vavilov'' :

(57) En somme, la Cour suprême tient pour acquise l’expertise du décideur lorsqu’elle établit une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, et ce, afin de simplifier l’analyse. Cette expertise a donc toujours son importance, mais elle est intégrée à cette étape. Toutefois, lorsqu’un appel d’une décision d’un tribunal administratif est prévu, comme c’est le cas pour les décisions du Comité, il « doit être abordé comme l’est un appel au sein de la hiérarchie judiciaire de droit commun, c’est-à-dire conformément aux normes d’intervention qui y ont cours » 64. Tel que déjà mentionné, la déférence, dans ce cas, n’est pas liée à l’expertise, mais se fonde sur la position privilégiée du décideur qui entend la preuve et l’apprécie.

Finalement, la Cour d’appel renverse la décision de la Cour supérieure :

(61) La norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante est donc exigeante. À mon avis, les intimés n’identifient aucune erreur de cette nature dans les moyens d’appel qu’ils ont fait valoir en Cour du Québec.

À propos de l’auteur

Me Nikolas De Stefano a rejoint IMK Avocats en 2018 à titre de stagiaire d’été avant d’être embauché à titre d’avocat. Il pratique principalement en litige civil et commercial, actions collectives, droit constitutionnel et en droit administratif.


(1) Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65.
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