Femtechs : vers une révolution de la santé féminine respectant la vie privée
Tara D’aigle-Curley Et Ariane Ohl-Berthiaume
2024-12-16 11:15:08
Coup d'œil sur les Femtechs, aussi appelées technologies féminines…
Saviez-vous que la majorité des recherches médicales actuellement disponibles ont été principalement effectuées sur des hommes, laissant de côté des possibilités d’études plus approfondies sur le corps de la femme?
Cela peut sembler surprenant, surtout considérant que les femmes constituent près de 50% de la population mondiale. La disponibilité réduite de données visant les femmes dans le domaine médical a conduit à de nombreuses situations désavantageuses pour celles-ci, notamment en ce qui a trait à la prévention entourant certaines conditions médicales ou à la perception de la société en général envers celles-ci.
Par exemple, l’infertilité a longtemps été considéré comme étant causé par des conditions psychologiques, plus particulièrement chez la femme. On considérait donc qu’un couple pouvait être infertile en raison de différents traits psychologiques que l’on pouvait retrouver chez la femme et cette dernière se voyait alors offrir un traitement en ce sens.
Les données scientifiques actuelles démontrent plutôt qu’un tiers des cas d’infertilité sont dus à des problèmes de reproduction masculine, un tiers à des problèmes de reproduction féminine et le dernier tiers à des problèmes de reproduction à la fois masculine et féminine ou bien à des facteurs inconnus.
Il n’en demeure pas moins que le poids de l’infertilité n’est toujours pas attribué de manière équitable entre les hommes et les femmes, ce qui peut causer des impacts considérables sur la santé physique et mentale des femmes. Au Canada, c’est seulement en 1997 que le gouvernement fédéral émet ses premières recommandations quant à l’inclusion des femmes dans les études cliniques.
Cette situation a conduit à des risques spécifiques pour les femmes, plus particulièrement en matière de bien-être et de santé. C’est dans ce contexte que les Femtechs ont émergé, apportant des solutions technologiques innovantes dédiées spécifiquement à la santé féminine.
Qu’est-ce que les Femtechs?
Les Femtechs, aussi appelées technologies féminines, désignent un ensemble de produits, services et logiciels visant à améliorer la santé et le bien-être des femmes. Ces technologies couvrent divers domaines tels que la santé reproductive, la grossesse, la ménopause, et bien d’autres aspects spécifiques à la santé féminine.
Les Femtechs représentent une avancée significative dans la prise en charge des besoins médicaux des femmes, qui ont souvent été négligés par la recherche médicale traditionnelle. D’ailleurs, il s’agit d’un domaine en pleine croissance. La taille du marché mondial des Femtechs a été estimée à 33,92 milliards USD en 2023 et devrait croître à un taux de croissance annuel de 16,30 % entre 2024 et 2030.
Risques pour les femmes
Malgré les avantages indéniables des Femtechs sur la santé des femmes, il existe des risques associés à leur utilisation par ces dernières. L’un des principaux risques concerne la précision des données collectées et analysées par ces technologies. Une mauvaise interprétation des données peut entraîner des diagnostics erronés ou des traitements inappropriés.
Par exemple, lorsqu’une femme utilise une application pour suivre son cycle menstruel à titre d’unique moyen de contraception, elle s’expose à des risques de grossesse non désirée en cas d’erreur dans les prédictions des périodes d’ovulation faites par l’application. De plus, tout comme il est possible de le constater avec les technologies médicales plus générales, le recours exclusif à ces technologies peut parfois favoriser l’autodiagnostic et remplacer les consultations médicales traditionnelles, ce qui peut être préjudiciable en cas de problèmes de santé plus complexes ou sous-jacents.
Enjeux de protection de la vie privée liés aux Femtechs
Les Femtechs soulèvent également des enjeux importants en matière de protection de la vie privée, plus particulièrement dans le contexte mondial actuel. Les données collectées par ces technologies sont souvent très sensibles, incluant des informations sur la santé reproductive, les cycles menstruels, et d’autres aspects très intimes de la vie des femmes.
De plus, les renseignements collectés sont souvent communiqués à des tiers et à des agrégateurs de données, sans que les utilisatrices n’en soit adéquatement informées. Ces données pourront ensuite être utilisées dans des contextes variés, incluant la publicité ciblée, le calcul des primes d’assurance, le milieu de travail, dans un contexte de relations abusives ou même par des personnes malveillantes lors d’une cyberattaque.
Toujours en prenant l’exemple des applications permettant d’assurer un suivi du cycle menstruel, il est possible de constater que la majorité d’entre elles sont offertes gratuitement. Les profits sont donc générés par la vente des données des utilisatrices à des compagnies tierces, incluant les renseignements personnels sensibles liés à la santé.
Cela peut mener à des situations problématiques, allant même jusqu’à mettre à risque la sécurité des femmes, plus particulièrement dans les endroits où ces données pourraient éventuellement servir de preuves dans un dossier criminel, par exemple si elles démontrent qu’un avortement illégal a eu lieu.
C’est d’ailleurs le cas aux États-Unis depuis juin 2022, avec le renversement de la décision Roe v. Wade, mettant fin au droit à l’avortement au niveau national. Un mouvement a émergé suivant cette décision, appelant les femmes à supprimer leur application de suivi du cycle menstruel, notamment pour les protéger contre l’utilisation en preuve des données accumulées sur ces applications.
Au Québec, des lois spécifiques sont applicables aux entreprises développant des plateformes ou des applications de Femtechs. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé prévoit des dispositions strictes quant au traitement et à la communication de renseignements sensibles à des tiers et la Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux peut également s’appliquer aux fournisseurs de services devant traiter des renseignements de santé et de services sociaux dans le cadre de leurs activités.
Des sanctions importantes pourraient être octroyées aux entreprises ne s’étant pas assurées de respecter les lois applicables en matière de protection de la vie privée dans le cadre du développement de leur technologie. Afin de s’assurer de respecter les lois applicables à ce type de technologies en matière de protection des renseignements personnels, les utilisateurs doivent être informés de la manière dont leurs données sont collectées, stockées, utilisées et partagées afin de garantir une transparence totale.
La mise en œuvre d’une approche de protection de la vie privée dès la conception (ou « privacy by design ») dans le développement d’applications ou de plateformes traitant des renseignements sensibles est désormais indispensable afin de respecter toutes les exigences des lois applicables.
Conclusion
Les Femtechs représentent une révolution dans le domaine de la santé féminine, offrant des solutions innovantes pour répondre aux besoins spécifiques des femmes. Cependant, il est essentiel de prendre en compte les risques associés à leur utilisation et de mettre en place des mesures de protection de la vie privée adéquates.
En combinant les avantages des Femtechs avec une approche de développement prudente et informée, il est possible d’améliorer la santé et le bien-être des femmes de manière significative tout en s’assurant de limiter les risques en matière de protection de la vie privée.
Cet article a été publié à l’origine sur le site de ROBIC.
À propos des auteures
Tara D’Aigle-Curley est avocate spécialisée dans les questions de droit à la vie privée, de protection des renseignements personnels, d’accès à l’information et des technologies de l’information chez ROBIC.
Ariane Ohl-Berthiaume est avocate spécialisée dans les questions de droit à la vie privée, de protection des renseignements personnels, de cybersécurité et de technologies de l’information chez ROBIC.