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L’AECG : des difficultés à envisager

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Gaël Chevalier

2015-03-23 11:15:00

Si bon nombre de professionnels se réjouissent de la prochaine entrée en vigueur de l’accord de libre échange Canada-Europe, cet avocat souligne les difficultés que risque d’engendrer cette entente..
Me Gaël Chevalier est avocat et titulaire d'une maîtrise en droit des affaires de l'université Paul Cézanne à Aix-en-Provence et diplômé en droit de l'UDEM
Me Gaël Chevalier est avocat et titulaire d'une maîtrise en droit des affaires de l'université Paul Cézanne à Aix-en-Provence et diplômé en droit de l'UDEM
Professionnels, politiciens et institutions s’exaltent depuis la signature d’un accord de principe de l’AECG en nous faisant miroiter d’éventuelles retombées économiques exceptionnelles.

Toutefois, est-ce que les professionnels qui auront la chance de capter ces nouvelles parts de marché vont jouer le jeu et réinvestir en faisant appel au bassin de l’emploi local ? Ou vont-ils continuer d’exercer une quête toujours plus grande des profits et renforcer ainsi les délocalisations pour répondre à ces nouvelles demandes ?

Certains vous diront que des mesures ont été prises en amont pour pallier à cela. Les biens concernés par ces nouveaux échanges devront respecter la règle dite de l’origine… entendez par là que le bien en question devra avoir été conçu ou assemblé en partie en Europe ou au Canada. L’acronyme CE ne devrait donc plus être l’écho de Chinese Exportation.

La délocalisation ne sera peut-être plus mondiale mais risquera de devenir régionale. Force est de constater que le coût d’un employé roumain, polonais n’est pas le même qu’un employé français ou québécois. Dans certaines zones de l’UE, les protections sociales sont minces, le droit des travailleurs peu contraignant voir inexistant et le salaire moyen très faible.

Alors, est-ce que la volonté initiale de nos gouvernements respectifs ne risque t-elle pas d’être quelque peu détournée de son objectif ? N’y a-t-il pas ainsi un risque d’accentuer les délocalisations régionales dans les pays (concernés par l’entente) peu enclins au respect des droits fondamentaux des travailleurs et de favoriser ainsi la ghettoïsation de certains pays intra-communautaire ayant pour résultat de créer une paupérisation artificielle de leur marché du travail. L’accord ne risque-t-il pas de provoquer davantage d’inégalités sociales ?

Difficultés d’application

Harmonisation et homogénéisation devront séduire pas moins de 38 partenaires. La difficulté est de taille. Quand sera t-il d’un employé canadien muté par son entreprise, accompagné de son conjoint (de même sexe), en Pologne ? Le statut de conjoint en Pologne s’entend pour une personne du sexe opposé. L’Irlande du nord, la Lettonie ou Lituanie interdisent explicitement le mariage pour des personnes de même sexe et ne reconnaissent aucun effet à ces unions célébrées à l’étranger.

La Cour européenne des droits de l’homme a pu juger que les règles de fonds et de forme du mariage relèvent de la compétence exclusive des États membres. Ainsi, les clauses de réserve, sacrosaint principe de la souveraineté étatique, risque de poser de réelles difficultés d’harmonisation et provoquer une profonde dénaturation du traité.

Au chapitre des reconnaissances professionnelles, l’application factuelle risque de connaître, elle aussi, des déconvenues importantes. Prenons en exemple les dispositions de l’ARM signées en 2008. Cette entente devait permettre à certains de nos professionnels respectifs d’apporter un peu de leurs savoirs et de leurs différences culturelles sur leurs nouvelles terres d’accueil.

Difficultés d’intégration

Toutefois, la réalité semble être bien différente. Ces avocats venus d’ailleurs doivent faire face à de très grandes difficultés d’intégration. Certains avocats soutiennent même que cet accord relève d’une certaine aberration déontologique et se questionnent ainsi sur la protection du public. Car, l’avocat bénéficiant de cet accord peut s’installer et pratiquer seul dès son arrivée après avoir passé un seul examen de déontologie.

Alors, est-ce que le justiciable sera efficacement représenté par un avocat ayant simplement réussi cette épreuve et étant dépourvu de toutes connaissances de la règle de droit générale ?

Si nos gouvernements respectifs semblent se préoccuper davantage des risques du mécanisme des règlements des différends investisseurs-État ayant pour finalité de réduire la capacité des gouvernements à réglementer, cette question a tout de même le mérite d’être posée, n’y a-t-il pas un risque pour le public ?

Ces candidats à l’ARM ne devraient-ils pas être plus encadrés en leur offrant plus de moyens afin de leur permettre une meilleure intégration au sein de leurs nouvelles juridictions ?

Ce rapprochement Canada-Europe est un projet extrêmement ambitieux et profitable à tous, à condition que les acteurs économiques, et toutes les parties prenantes en appliquent pleinement les dispositions afin de lui donner le sens qu’il mérite.

Pouvoirs publics et institutions doivent se mobiliser et baliser davantage les règles applicables à ces échanges afin d’éviter d’être les complices silencieux d’une dérive législatives qui au résultat ne fera que renforcer les inégalités et n’aura d’autre effets que de produire des textes dont l’applications demeurera inopérantes, ou presque, en pratique.

Bio :

Me Gaël Chevalier est avocat. Titulaire d'une maîtrise en droit des affaires de l'université Paul Cézanne à Aix-en-Provence et diplômé en droit de l'UDEM, il a fondé sa propre structure et se consacre aux échanges Europe-Canada et aide des investisseurs souhaitant s'implanter sur les marchés canadien ou européen.
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