Opinions

Le congédiement déguisé

Main image

Gabriel Granatstein

2011-02-18 14:15:00

Vous vous souvenez du film « Jerry Maguire » avec Tom Cruise? Dans une des scènes, Jerry décide qu’il démissionne. Mais est-ce un congédiement déguisé? Jerry pourrait-il poursuivre son employeur sur cette base ? Gabriel Granatstein répond avec sa verve habituelle...
Dans l’une des scènes tirées du film « Jerry Maguire », Jerry, le personnage principal joué par Tom Cruise, décide qu’il démissionne. Il réunit tous ses effets personnels et annonce à ses collègues qu’il quitte ce « presse-citron » dans le but de démarrer sa propre entreprise.

Dans un vibrant discours, il demande à ces derniers de le suivre, s’empare de l’un des poissons de l’aquarium tout en prenant bien soin de le placer dans un sac de plastique avant de le ranger dans sa mallette et quitte en claquant la porte. Renée Zellweger sera finalement la seule à le suivre. Peu de temps après, les affaires iront pour le mieux, Tom et Renée se complétant à merveille pour assurer une fin de film des plus parfaites.

Jerry Maguire a-t-il été victime d'un congédiement déguisé?
Jerry Maguire a-t-il été victime d'un congédiement déguisé?
Évidemment, après avoir visionné cette scène particulière, il paraît tout à fait normal qu’elle puisse inspirer certaines questions chez l’avocat en droit du travail et de l’emploi : « Est-ce que Jerry pourrait poursuivre son employeur sur la base d’un congédiement déguisé? » « Est-ce que Jerry pourrait annuler sa démission et retourner au travail? » Est-ce que prononcer les mots « Je démissionne » a un effet juridique?

Certes peu intéressantes à projeter sur nos écrans de cinéma, ces questions représentent néanmoins des points de droit importants qu’il s’avère intéressant d’analyser. Qu’est-ce que le congédiement déguisé et quand une démission n’en est pas vraiment une?

En bref, un congédiement déguisé a lieu lorsqu’un employeur modifie les conditions essentielles d’un contrat de travail d’une manière telle qu’aux yeux du tribunal, cela équivaut à avoir congédié l’employé. Dans un tel cas, un employé peut cesser de se présenter au travail sans que cela puisse être apparenté à une démission de sa part.

Dans ces circonstances, la possibilité pour l’employé d’obtenir des dommages-intérêts ou d’être réintégré dans ses fonctions serait alors tributaire du choix de tribunal devant lequel il désirerait avancer sa plainte. À titre d’exemples flagrants de congédiement déguisé, on peut penser à une réduction unilatérale du salaire, à une rétrogradation sans justification d’un cadre au poste de caissier ou à une baisse drastique des heures de travail d’un employé.

Pas si simple, le congédiement déguisé!

En dépit de son apparente simplicité, il arrive fréquemment que les employés et les avocats se méprennent sur ce qui peut constituer un congédiement déguisé. Il en existe essentiellement deux types : 1) lorsqu’un employeur tente de forcer l’employé à quitter en modifiant substantiellement ses conditions de travail (ce qui peut inclure le harcèlement); 2) lorsqu’un employeur n’a aucune intention de forcer l’employé à quitter mais que, sur la base de toute autre considération, il modifie tout de même substantiellement ses conditions de travail.

J’ai travaillé sur quelques dossiers où le congédiement déguisé a été allégué (bien évidemment du côté de l’employeur). Dans un des cas, un employé avait démissionné d’une grande corporation parce qu’il pensait que l’un de ses collègues était mal traité. Il a fait valoir que sa démission n’était pas valide et qu’il avait été congédié de manière déguisée. Dans un autre cas, une employée a simplement quitté son lieu de travail et a poursuivi son employeur sur la base d’un stress lié à la gestion interne de sa performance.

Même si les allégations de ces deux employés étaient vraies, je ne crois pas que les actions de leurs employeurs représentaient un congédiement déguisé. Heureusement ou non, les deux affaires ne se sont jamais rendues à procès et par conséquent, nous ne saurons jamais quel aurait été leur dénouement.

L’un de mes collègues a comparé le congédiement déguisé à un cas où un propriétaire coupe l’électricité et le chauffage d’un locataire en hiver; certes, tout en vous permettant de louer ses locaux, il vous envoie par le fait même un message clair à l’effet qu’il est temps pour vous de partir. Ce genre d’agissements peut constituer la base d’un tout autre type de recours.

Gérer la performance ou pousser vers la porte?

La loi prévoit qu’un employeur peut gérer la performance d’un employé sans que cela soit considéré comme un congédiement déguisé. Il est également possible de transférer des employés à des positions similaires en leurs assurant des conditions de travail identiques. Dans le même ordre d’idées, demander à des employés d’améliorer la qualité de leur travail ou d’arriver à l’heure ne constitue pas un congédiement déguisé.

Toutefois, il s’avère pertinent de noter que nos tribunaux ont affirmé que lorsque la gestion de la performance devient démesurée à un point tel qu’elle en vient à créer un environnement de travail inhospitalier (prenant la forme par exemple de harcèlement au travail), les employés pourraient alors tenter, à bon droit, de faire valoir qu’il y a congédiement déguisé en l’espèce.

La loi prévoit aussi qu’une démission valide est finale. Toutefois, ce qu’on entend par « valide » est sujet à débat. Si une personne démissionne sous le coup de l’émotion et qu’elle est immédiatement relevée de ses fonctions, nos tribunaux ont statué que cette démission pourrait dans certaines circonstances ne pas être valide.

En somme, Jerry pourra peut-être reprendre son emploi?

Gabriel Granatstein est avocat chez Ogilvy Renault LLP et pratique le droit de l’emploi et du travail au Québec. On peut le rejoindre à ggranatstein@ogilvyrenault.com
17129
Publier un nouveau commentaire
Annuler
Remarque

Votre commentaire doit être approuvé par un modérateur avant d’être affiché.

NETiquette sur les commentaires

Les commentaires sont les bienvenus sur le site. Ils sont validés par la Rédaction avant d’être publiés et exclus s’ils présentent un caractère injurieux, raciste ou diffamatoire. Si malgré cette politique de modération, un commentaire publié sur le site vous dérange, prenez immédiatement contact par courriel (info@droit-inc.com) avec la Rédaction. Si votre demande apparait légitime, le commentaire sera retiré sur le champ. Vous pouvez également utiliser l’espace dédié aux commentaires pour publier, dans les mêmes conditions de validation, un droit de réponse.

Bien à vous,

La Rédaction de Droit-inc.com

PLUS

Articles similaires