Même la garantie à vie n’est pas éternelle!

William Plante-Bischoff Et Emmanuel Cigana
2025-03-05 11:15:16

Un arrêt récent de la Cour d’appel du Québec (« CA »), Hamann c. Matériaux de construction Oldcastle Canada inc., 2024 QCCA 1705, confirme une décision de la Cour supérieure du Québec (« CS ») ayant rejeté une demande introductive d’instance en raison du défaut du demandeur d’intenter son recours dans les trois ans de la découverte de dommages aux tuiles installées sur sa toiture, lesquelles se brisaient à répétition.
Les faits
En 1994, Richard Hamann (le « Demandeur ») retient les services de l’entrepreneur Toitures Quatre-Saisons inc. (« Quatre-Saisons ») afin d’installer des tuiles de toiture de marque Permacon fabriquées par Les Matériaux de construction Oldcastle Canada inc. (« Permacon ») sur une nouvelle résidence.
En 1999, le Demandeur constate que certaines tuiles sont brisées. Il parvient à les remplacer en utilisant des tuiles excédentaires laissées sur place cinq ans plus tôt par Quatre-Saisons. Le Demandeur continue de remplacer lui-même les tuiles au fur et à mesure qu’elles se brisent, jusqu’à ce que survienne un important dégât d’eau en 2003.
Le 6 février 2004, deux représentants de Permacon visitent les lieux afin de constater les dommages. Permacon retient ensuite un expert pour inspecter la toiture et déceler la cause du problème. Ce dernier conclut que la détérioration prématurée des tuiles pourrait être causée par les cycles de gel et de dégel successifs.
Le 8 mars 2005, Permacon s’engage à procéder au remplacement des tuiles dont la face visible est brisée et annihile sa fonctionnalité. Pour ce faire, elle indique qu’elle enverra des installateurs durant l’année en cours (en 2005), puis deux années plus tard (en 2007), après quoi elle réévaluera son intervention.
Malgré ses promesses, Permacon n’envoie pas d’installateur en 2005, 2006 et 2007. Plutôt, elle se contente de livrer 300 nouvelles tuiles au Demandeur vers le 22 août 2006. En 2007, le Demandeur recommence à remplacer lui-même les tuiles au fur et à mesure qu’elles se brisent avec les tuiles livrées par Permacon, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus en octobre 2018.
Le 7 octobre 2019, le Demandeur s’adresse à Permacon pour réclamer des nouvelles tuiles. Or, Permacon lui répond qu’elle a cessé de fabriquer les tuiles en 1995 et l’invite à remplir un formulaire de réclamation. Le Demandeur se tourne plutôt vers un autre entrepreneur pour réaliser des travaux correctifs à compter de novembre 2019.
Le 24 mars 2021, le Demandeur dépose une demande introductive d’instance contre Permacon, qui est plus tard modifiée afin de réclamer 236 449 $ pour le remplacement de la toiture, 25 000 $ pour la perte de la garantie fournie par Permacon, et 45 268,95 $ en lien avec les honoraires professionnels engagés par le Demandeur.
En réponse à la demande, Permacon soulève un moyen de défense fondé sur la prescription, qui est accueilli.
La décision de la CS
La CS accueille l’argument de Permacon fondé sur la prescription.
La CS constate que le préjudice s’est manifesté graduellement depuis 1999 quand le Demandeur a constaté pour la première fois que des tuiles étaient cassées. C’est donc en 1999 que la prescription de trois ans a commencé à courir selon l’article 2926 du Code Civil du Québec (« C.c.Q. »), qui prévoit :
Lorsque le droit d’action résulte d’un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois.
Or, la CS estime que les interventions de Permacon en 2004 et en 2005 de même que son engagement à remplacer les tuiles qui se brisaient ont interrompu la prescription en vertu de l’article 2898 C.c.Q.:
La reconnaissance d’un droit, de même que la renonciation au bénéfice du temps écoulé, interrompt la prescription.
En d’autres termes, la prescription triennale qui aurait autrement été acquise a recommencé à courir à partir de 2005, selon l’article 2903 C.c.Q. :
Après l’interruption, la prescription recommence à courir par le même laps de temps.
Néanmoins, la CS soutient que le Demandeur était dans l’impossibilité d’agir pendant la durée de l’engagement pris par Permacon voulant que les tuiles soient remplacées par des installateurs jusqu’en 2007. La prescription était dès lors suspendue selon l’article 2904 C.c.Q.:
La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l’impossibilité en fait d’agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d’autres.
La suspension de la prescription selon l’article 2904 C.c.Q. prend fin lorsque le Demandeur n’est plus en situation d’impossibilité d’agir. À ce sujet, la CS estime que le Demandeur pouvait entreprendre son recours à l’échéance de l’entente avec Permacon, soit à partir du 1er janvier 2008, après avoir réalisé qu’aucun installateur n’avait été envoyé.
Puisque la suspension de la prescription a pris fin le 1er janvier 2008, le droit d’action du Demandeur contre Permacon s’est éteint par prescription trois ans plus tard, soit à compter du 1er janvier 2011.
Ainsi, le recours entrepris par le Demandeur le 24 mars 2021 était prescrit depuis plus de dix ans. La CS accueille donc le moyen de défense de Permacon et rejette la demande déposée par le Demandeur.
L’arrêt de la CA
Le Demandeur se pourvoit en appel et invoque essentiellement deux arguments : (1) la prise en charge du problème par Permacon en 2005 a suspendu la prescription jusqu’en 2018, lorsque le Demandeur a épuisé la réserve de tuiles fournies par Permacon; et, (2) le juge a commis une erreur en ne reconnaissant pas que Permacon avait renoncé au bénéfice de la prescription en 2019 en fournissant un formulaire de réclamation au Demandeur.
La CA est saisie d’une requête en rejet d’appel déposée par Permacon, qu’elle accueille.
Dans son arrêt, la CA conclut d’abord que le Demandeur n’a relevé aucune erreur manifeste et déterminante quant à la détermination de la CS portant sur la suspension de la prescription seulement jusqu’en 2008, qui constitue une question de fait. En effet, le Demandeur aurait pu entreprendre son recours dès 2008 après avoir constaté que Permacon avait fait défaut de respecter son engagement.
De même, la CA considère que la question de la renonciation à la prescription en 2019 en lien avec le formulaire de réclamation fourni par Permacon est une question entièrement factuelle qui commande déférence envers la décision de la CS. Là encore, le Demandeur n’a identifié aucune erreur manifeste et déterminante.
À retenir
Comme l’explique la CS dans son jugement, la prescription peut être échue même si un dommage se perpétue dans le temps. En effet, en l’espèce, le Demandeur avait constaté dès 1999 que les tuiles fournies par Permacon étaient viciées. Il aurait pu entreprendre son recours à ce moment.
C’est quelque peu par accident que le Demandeur a pu bénéficier d’une suspension de la prescription. En effet, si Permacon n’avait pas accepté de prendre en charge le problème en 2004-2005, il n’y aurait pas eu d’interruption de la prescription et le Demandeur n’aurait pas été dans l’impossibilité d’agir jusqu’en 2008.
Enfin, comme le rappelle la CA dans son arrêt, les questions relatives à la prescription sont souvent des questions de fait. En l’espèce, le résultat aurait pu être différent si Permacon avait, par exemple, envoyé des installateurs pour remplacer les tuiles comme promis.
À propos des auteurs
William Plante-Bischoff est avocat au sein du groupe de droit des assurances chez Robinson Sheppard Shapiro (RSS). Sa pratique porte principalement sur la couverture d’assurance. Avant de se joindre à RSS, il était avocat Clyde & Co où il a entre autres eu la chance de travailler sur des mandats divers en matière de couverture et de supervision des litiges pour les Souscripteurs du Lloyd’s.
Emmanuel Cigana est étudiant en droit chez RSS. Avant ses études en droit, il a obtenu une maîtrise en musique à l’Université d’Ottawa, où il étudiait en interprétation du piano et se spécialisait en musique classique allemande du XIXe siècle.