Peine de mort : lettre ouverte du président de l’AJBM

Mathieu Piché-Messier
2008-02-19 12:44:00
Dans ce contexte, nous avons regardé la question et nous croyons que le Canada se doit de continuer à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que les droits des Canadiens soient respectés tant sur son propre territoire qu’à l’étranger. Il nous apparaît par ailleurs primordial que le Canada informe ses ressortissants de leur droit à tenter d’être rapatriés en territoire canadien, tel que le prévoit la Loi sur le transfèrement international des délinquants.
Rappelons tout d’abord que la peine de mort a été abolie au Canada en 1976 dans une perspective de primauté des droits de la personne et afin d’éviter des erreurs judiciaires irréparables, l’histoire canadienne en ayant révélé plusieurs. Le Canada a depuis milité sur toutes les scènes et au sein de nombreuses arènes politiques pour convaincre nos pairs d’abolir la peine de mort à l’échelle de la planète.
C’est donc en rupture avec une tradition bien établie qu’en novembre dernier, une décision a été prise par le gouvernement canadien à l’effet de ne pas parrainer la résolution no. A/C.3/62/L.29 des Nations Unies s’opposant à la peine de mort. Cette résolution demandait aux pays pratiquant la peine de mort d’instituer un moratoire à son sujet et aux pays l’ayant abolie à ne plus la réintroduire.
Même si le Canada a finalement voté en faveur de cette résolution sans l’avoir parrainée, à la même époque, le gouvernement décidait également de ne plus demander le rapatriement des ressortissants canadiens faisant face à la peine de mort à l’étranger « au terme d'un procès équitable dans un État de droit ». Le gouvernement a alors refusé de préciser quels pays à part les États-Unis étaient visés par cette définition.
Par ailleurs, à ceux qui pourraient alléguer qu’il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau, nous soumettons que cette décision n’est pas du tout théorique puisque des cas concrets de Canadiens condamnés à mort ont fait les manchettes depuis. Quant à ces derniers, ils n’ont pas ou ne pourront pas bénéficier, de par cette nouvelle politique en la matière, d’une assistance pour tenter d’être rapatriés en vertu de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, comme nous le mentionnions plus haut. Il sera d’ailleurs intéressant dans un tel contexte de suivre le cas de Michel Veillette, de Laval, qui pourrait faire face à une telle peine en Ohio et qui pourrait se retrouver sans assistance canadienne lui aussi.
Non seulement ce revirement a fait réagir de nombreux membres avocats criminalistes de l’AJBM qui y voyaient là un changement draconien et moralement inacceptable, la situation a été jugée d’autant plus préoccupante puisque le silence a rapidement succédé au tollé des premiers jours suite à la publicisation de cette nouvelle approche canadienne. Nous avons donc cru bon revenir sur le sujet suite à la motion des partis d’opposition pour rappeler l’incidence pratique importante pour les condamnés à mort à l’étranger et pour défendre ce principe fondamental.
De plus, il est également important de mentionner que cette nouvelle position quant au rapatriement des ressortissants n’est pas dans tous les cas cohérente avec certaines dispositions de nos propres lois. En effet, il est intéressant de noter à ce sujet, par exemple, que l’article 6 du Traité d'extradition entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique prévoit que le Canada n’extradera aux États-Unis aucun citoyen canadien risquant la peine de mort en ce pays sauf si les États-Unis garantissent officiellement que la peine de mort n’y sera pas appliquée. Comment pouvons-nous justifier que nous n’extraderons pas un Canadien susceptible d’être condamné à mort alors même que nous ne ferons rien pour l’assister s’il est pris à l’étranger ?
Nous désirons ainsi applaudir la motion unanime des partis d’opposition et interpeler la population pour qu’elle continue de dénoncer ce virage important de manière à ce que le Canada reprenne son rôle de leader mondial en faveur de l’abolition de la peine de mort et ce, au nom de l’État de droit et du respect des droits de l’Homme.
Par Mathieu Piché-Messier, président, Association du Jeune Barreau de Montréal