Perspective du Québec sur les régimes d’options d’achat d’actions : les éléments clés
Sylvain Aird, Pierre-hubert Séguin Et Eliab Taïrou
2024-03-27 11:15:17
Focus sur les régimes d’options d’achat d’actions au Québec…
Autant les entreprises établies que les entreprises en démarrage (start-up) utilisent les régimes d’intéressement à long terme afin d’attirer les talents, retenir les employés, administrateurs et dirigeants clés (collectivement, le « Bénéficiaire ») et aligner leurs intérêts avec ceux des actionnaires.
Dans un contexte de haute concurrence et de pénurie de main-d’œuvre, ces régimes sont particulièrement pertinents, le plus communément utilisé étant le régime d’options d’achat d’actions (le « Régime d’options »), qui prévoit les modalités de cet outil incitatif à la performance. Un tel régime permet par ailleurs à une entreprise de conserver ses liquidités afin d’effectuer les investissements requis pour sa croissance.
Même si un tel régime est généralement complexe et que certaines règles qui l’encadrent sont différentes, selon qu’il s’agisse d’un émetteur fermé ou d’une entreprise cotée en bourse (l’« émetteur assujetti »), un survol des éléments clés permet d’avoir une vue d’ensemble du fonctionnement d’un tel régime et des enjeux soulevés.
Différence entre les options d’achat d’actions et les unités d’actions restreintes
Alors que le Régime d’options est le plus couramment utilisé, d’autres possibilités existent, dont le régime d’unités d’actions restreintes (Restricted Share Units ou RSU) qui est également courant et est particulièrement utilisé par les émetteurs assujettis.
Dans le cadre d’un Régime d’options, lequel peut être approuvé par les actionnaires de l’entreprise, le conseil d’administration de l’entreprise ou un comité de rémunération attribuera des options au Bénéficiaire et le tout sera consigné dans une entente ou un formulaire indiquant notamment le nombre d’options attribuées, la période d’acquisition (vesting period), les conditions d’acquisition (vesting conditions), le coût d’exercice par option et l’échéance des options.
Le Bénéficiaire, lors de l’attribution des options, ne devient pas immédiatement détenteur d’actions de l’entreprise. C’est plutôt au terme de la période d’acquisition prévue que le Bénéficiaire pourra, moyennant le paiement du coût d’exercice et le respect des autres conditions prévues, devenir détenteur d’actions de l’entreprise.
Lors de l’attribution d’options au Bénéficiaire, celui-ci n’obtient donc aucune valeur immédiate. Ce n’est que le potentiel d’accroissement de la valeur de l’action de l’entreprise qui créera la valeur des options.
Quant au régime de RSU, il correspond à l’attribution à un Bénéficiaire d’unités dont chacune équivaut à une action de l’entreprise ; la valeur d’une unité correspond donc à la valeur d’une action de l’entreprise. Tout comme les options d’achat d’actions, les RSU sont sujets à une période d’acquisition.
Cependant, contrairement aux options, le Bénéficiaire ne sera pas requis de payer un coût d’exercice afin de devenir détenteur d’actions de l’entreprise. Il deviendra plutôt détenteur des actions visées dès la fin de la période d’acquisition prévue et sous réserve des conditions prévues. La qualification « restreinte » réfère au fait que les unités attribuées sont sujettes à une période d’acquisition ou encore font l’objet de restrictions au transfert ou à la vente.
Bénéficiaires
Même si un Régime d’options vise généralement des employés clés de l’entreprise, certains régimes prévoient que les consultants ou les autres fournisseurs de services pouvant être qualifiés de travailleurs autonomes sont également admissibles, ce qui peut par ailleurs être un élément à considérer dans le cadre de la qualification légale de leur statut d’entrepreneur indépendant ou d’employé au regard des lois applicables en droit de l’emploi et en droit fiscal.
Certains régimes prévoient également que les administrateurs ou les dirigeants peuvent être bénéficiaires d’options d’achat d’actions.
Le Régime d’options pourra par ailleurs prévoir que l’attribution ne confère pas au Bénéficiaire le droit de continuer d’occuper son rôle à titre d’employé, administrateur, dirigeant ou consultant pour l’entreprise ni le droit d’obtenir d’autres attributions futures.
Bassin d’options (option pool)
Dans le cadre de l’adoption d’un Régime d’options, l’entreprise doit choisir une classe d’actions et le pourcentage de cette classe d’actions qui sera réservée pour le régime. Cette information se retrouvera parfois dans le Régime d’options et même si un pourcentage d’environ 10 % est régulièrement utilisé, il pourra varier entre 5 % et 20 % et être modifié au fil du temps par l’entreprise. Des enjeux de dilution de l’actionnariat sont évidemment à considérer par l’entreprise en lien avec ce pourcentage.
Prix d’exercice
Lors de l’attribution d’options d’achat d’actions à un Bénéficiaire, l’entreprise doit établir un prix d’exercice (strike price) pour chaque option. La juste valeur marchande de l’action visée en date de l’attribution est la norme.
Ce prix d’exercice correspond au montant que le Bénéficiaire devra verser à l’entreprise lorsqu’il exercera ses options.
Considérant les enjeux de liquidités pour le Bénéficiaire, le Régime d’options peut prévoir que le Bénéficiaire aura le droit d’effectuer une levée d’option d’achat d’actions sans décaissement (cashless exercise). Cela correspond à un mécanisme par lequel le Bénéficiaire n’a pas à verser de montant afin d’exercer ses options, mais se retrouve par exemple avec un nombre réduit d’actions comparativement au nombre de ses options.
Droit d’acquisition
Considérant la nature prospective du Régime d’options, c’est par l’écoulement d’une certaine période, soit par exemple au bout de quelques années ou par paliers à l’intérieur de cette période, le tout prévu par le Régime d’options ou l’entente d’attribution d’options, que le Bénéficiaire aura acquis les options lui ayant été attribuées. Il pourra à ce moment les exercer afin de devenir détenteur d’actions de l’entreprise. Dans certains cas, c’est par l’atteinte d’objectifs de rendement que le Bénéficiaire acquiert les options.
Certains régimes prévoient que l’acquisition des options ne surviendra que lors d’un certain événement, notamment l’acquisition de la société par un tiers ou encore lors du premier appel public à l’épargne. Dans le même sens, certains régimes prévoient qu’en cas de changement de contrôle, les options deviendront acquises. Ce sont également parfois ces mêmes événements qui peuvent permettre au Bénéficiaire de liquider les actions qu’il détient dans le cas d’un émetteur fermé.
Des restrictions au transfert des options ou des actions émises suivant l’exercice d’options peuvent par ailleurs être prévues par le Régime d’options. Le Régime d’options peut également prévoir que le Bénéficiaire devient lié par une convention entre actionnaires en lien avec l’exercice de ses options.
Perte des droits
Considérant que les Régimes d’options impliquent des enjeux monétaires souvent très importants, le libellé utilisé quant à la perte des droits en lien avec les options d’achat d’actions est primordial.
Tout d’abord, il est courant qu’un régime prévoie une échéance des options au terme d’une période généralement de cinq ou dix ans suivant l’attribution des options. Ainsi, le Bénéficiaire n’ayant pas exercé ses options au terme de cette période perdra ses droits. Cette échéance vise à assurer une certaine prévoyance en lien avec des options attribuées et pouvant être exercées par le Bénéficiaire.
En outre, un élément clé du Régime d’options est que celui-ci devra prévoir très clairement ce qui advient des options n’ayant pas été exercées en date de la fin d’emploi, de la retraite ou dans le cas d’une absence prolongée ou d’une invalidité du Bénéficiaire.
Afin de limiter les droits du Bénéficiaire lors de la fin d’emploi, le Régime d’options pourrait établir clairement que les options sont de nature exceptionnelle, ne font pas partie de la rémunération courante du Bénéficiaire et ne compensent pas le Bénéficiaire pour les services rendus. Le Régime d’options pourrait également indiquer que toute option n’ayant pas été acquise en date de la fin d’emploi, peu importe le motif de cette fin d’emploi, est automatiquement annulée. Le Bénéficiaire n’aurait alors aucun droit en lien avec l’acquisition des options, à la suite de la fin d’emploi, notamment durant toute période subséquente tenant lieu de préavis de fin d’emploi auquel l’employé aurait eu droit.
Lorsqu’il s’agit d’une fin d’emploi sans motif sérieux, tel qu’un licenciement pour motifs économiques, il est courant que le Régime d’options accorde un délai, soit par exemple de 90 jours et généralement de moins d’un an, afin d’exercer les options déjà acquises en date de la fin d’emploi.
Par ailleurs, considérant les enjeux soulevés et afin de minimiser les risques de litige lors de l’attribution des options, l’entreprise aura avantage à porter spécifiquement à la connaissance du Bénéficiaire le libellé du Régime d’options indiquant la perte des droits lors de la fin d’emploi.
Langue du Régime d’options
Avec l’entrée en vigueur du projet de loi 96 en juin 2022 au Québec, qui a apporté des modifications à la Charte de la langue française, les documents relatifs aux conditions de travail doivent être disponibles en français. À cet égard, un Régime d’options adopté par une entreprise assujettie à la Charte doit donc être disponible en français. Pour ce qui est d’un Régime d’options qui aurait été adopté avant l’entrée en vigueur du projet de loi, considérant que le délai de grâce accordé par le projet de loi a expiré le 1er juin 2023, un tel Régime d’options doit également être disponible en français afin d’être conforme à la loi.
Autres considérations
Bien entendu, un Régime d’options soulève plusieurs autres enjeux légaux, tels que des considérations fiscales. En effet, si l’entreprise est une société résidante du Canada et qu’un lien d’emploi existe entre elle et le Bénéficiaire de l’option, le gain réalisé lors de l’exercice de l’option pourrait être considéré comme une rémunération salariale. Dans ce cas, l’entreprise pourrait être responsable des retenues à la source liées à l’avantage conféré au Bénéficiaire relativement à l’exercice de l’option.
Il est également important que le Régime d’options accorde une certaine latitude à l’entreprise afin qu’elle puisse s’adapter aux circonstances qui vont évoluer au fil de sa croissance ou afin de traiter certains cas particuliers. À cet égard, le Régime d’options devrait indiquer que l’entreprise se réserve le droit de le modifier ou d’y mettre fin et dans quelles conditions.
Enfin, une clause pourra prévoir que par sa participation au Régime d’options, le Bénéficiaire autorise l’entreprise à utiliser ses renseignements personnels pour l’administration du régime.
À propos des auteurs
Sylvain Aird est associé dans le groupe de droit des affaires chez Langlois Avocats.
Auparavant, il a exercé au sein d’une société inscrite à la cote de la TSX évoluant dans le domaine des énergies renouvelables en Amérique du Nord et en Europe. Il y a occupé, entre autres, les fonctions de vice-président, chef des affaires juridiques et secrétaire corporatif, et de vice-président, Développement Europe.
Pierre-Hubert Séguin est associé au sein du groupe de droit des affaires chez Langlois Avocats.
Il est chef du secteur des marchés des capitaux, responsable des valeurs mobilières et conseiller spécial auprès du chef de la direction.
Eliab Taïrou est associé en droit du travail et de l’emploi chez Langlois Avocats.
Dans le cadre de sa pratique, il est appelé à représenter des employeurs des secteurs privé et public, sous juridiction provinciale et fédérale et en milieux syndiqué et non syndiqué.