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Projet de loi 72 : nouvelles exigences contractuelles et dispositions concernant le crédit

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Vincent De L’Étoile, Sandra Desjardins Et Justine Brien

2024-09-19 11:15:38

Vincent de l’Étoile, Sandra Desjardins et Justine Brien, les auteurs de cet article. Source : Langlois
Vincent de l’Étoile, Sandra Desjardins et Justine Brien, les auteurs de cet article. Source : Langlois
Focus sur les nouvelles obligations du projet de loi 72….



Le 12 septembre 2024, le ministre de la Justice du Québec a présenté à l’Assemblée nationale le projet de loi no 72, Loi protégeant les consommateurs contre les pratiques commerciales abusives et offrant une meilleure transparence en matière de prix et de crédit (le « Projet de loi »), apportant différentes modifications à la Loi sur la protection du consommateur (la « Lpc »), entretenant l’objectif de protéger davantage les consommateurs et de s’assurer de fournir à ceux-ci une information plus claire.

Le Projet de loi a principalement fait la manchette en raison de ses nouvelles exigences relatives aux pourboires et à l’affichage en épicerie. Sa portée est toutefois plus grande et touche plusieurs aspects relatifs aux obligations des commerçants lors de la conclusion d’un contrat et quant aux règles applicables au contrat de crédit.

Les principales modifications à la Lpc découlant du Projet de loi pouvant entrer en vigueur aussi rapidement qu’en décembre 2024 sont les suivantes.

L’exigence d’une copie du contrat sur support papier

Pour tous les contrats dont la Lpc exige qu’ils soient constatés par écrit(1), le Projet de loi remplace l’article 32 Lpc pour prévoir l’obligation du commerçant de remettre un exemplaire du contrat sur support papier.

Toutefois, le nouvel article 32 Lpc prévoit que tout document autre le contrat pouvant être remis au consommateur pourra lui être transmis à une adresse technologique si ce dernier y a consenti de façon expresse.

Les modifications concernant le contrat avec un commerçant itinérant

Le Projet de loi emporte de nombreuses modifications à l’encadrement des contrats conclus avec un commerçant itinérant.

1. Nouvelles exigences de forme

Le Projet de loi prévoit des ajouts au contenu du contrat conclu avec un commerçant itinérant, essentiellement pour indiquer le total des sommes que le consommateur devra débourser dans le cadre d’un contrat à durée déterminée sur une base mensuelle, même si les versements sont calculés sur une autre base.

Le contrat avec un commerçant itinérant devra aussi indiquer les modalités de paiement(2).

2. Le délai avant la prestation des services

La Lpc prévoit déjà que le contrat conclu avec un commerçant itinérant peut être résolu par le consommateur dans un délai de 10 jours suivant la remise au consommateur d’une copie du contrat, ou dans un délai d’un an dans certaines circonstances.

Le Projet de loi incorpore une nouvelle disposition suivant laquelle le commerçant itinérant ne peut fournir un service ou procéder à l’installation d’un bien avant l’expiration du délai de résolution de 10 jours (nouvel article 60.1 Lpc).

3. Interdiction de conclure certains contrats de vente par itinérance

Le Projet de loi établit certains types de contrats dont la conclusion avec un commerçant itinérant sera interdite, à savoir :

  • Un appareil de chauffage ou de climatisation (incluant un climatiseur, une thermopompe, une fournaise ou un système de géothermie);
  • Un service de décontamination;
  • Un service d’isolation;
  • Un contrat de crédit;
  • Un contrat de louage à long terme.

Le Projet de loi prévoit également qu’un règlement pourra aussi déterminer d’autres types de contrats ne pouvant être conclus avec un commerçant itinérant.

Soulignons par ailleurs que le Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur prévoira cependant des circonstances particulières où la conclusion d’un contrat de crédit ou d’un contrat de louage à long terme par un commerçant itinérant sera permise, à savoir les types de contrats faisant déjà l’objet d’une exception d’application des dispositions encadrant les contrats conclus par un commerçant itinérant.

4. La résolution du contrat

En cas de résolution d’un contrat conclu avec un commerçant itinérant, le Projet de loi précise que les parties doivent se restituer ce qu’elles ont reçu l’une de l’autre, ce qui inclut maintenant toutes les sommes d’argent payées par le consommateur à un tiers commerçant.

Le Projet de loi prévoit aussi que tout contrat conclu par le consommateur avec un « tiers commerçant » par suite de représentation ou d’une forme d’intervention de la part du commerçant itinérant forme un tout et peut être résolu de plein droit dès la résolution du contrat conclu avec le commerçant itinérant.

Le consommateur pourra d’ailleurs exercer tout recours pour inexécution contre le commerçant itinérant, et ce, même en ce qui concerne le contrat avec le commerçant tiers.

Une nouvelle responsabilité limitée en cas de fraude ou d’utilisation non autorisée d’un compte

Le Projet de loi instaure de nouvelles dispositions visiblement destinées aux institutions financières prévoyant que tout commerçant chez qui un consommateur détient un compte de dépôt devra rembourser à celui-ci toute somme débitée sans son autorisation.

Un tel commerçant devra également rembourser au consommateur toute somme débitée de son compte découlant d’une fraude s’il n’a pas pris les précautions nécessaires pour prévenir la fraude, malgré la présence d’indices probants permettant de la soupçonner.

De tels remboursements devront être effectués dans un délai de cinq jours ouvrables suivant une demande du consommateur à cet effet. Toutefois, avant qu’il n’ait été avisé de la situation, le commerçant ne sera tenu que de rembourser tout montant excédant 50 $.

Néanmoins, le commerçant ne saurait être tenu de rembourser de telles sommes s’il est établi que le consommateur a commis une faute lourde dans la protection de son numéro d’identification personnel.

Sans que le Projet de loi ne le précise, une faute lourde en regard du partage d’autres identifiants et codes d’accès que le numéro d’identification personnel devrait aussi faire obstacle à un remboursement par le commerçant.

Les modifications aux contrats de crédit

Le Projet de loi emporte aussi de nombreuses modifications à l’encadrement des contrats de crédit de différentes natures.

1. Modifications aux frais de crédit

Le Projet de loi prévoit que les frais de cautionnement devront désormais être inclus comme composante des frais de crédit, emportant ainsi leur inclusion dans le taux de crédit applicable aux contrats de crédit.

Inversement, le Projet de loi retire des composantes des frais de crédit les frais d’inscription ou de consultation d’un registre de la publicité des droits, qui n’auront plus à être inclus dans la détermination du taux de crédit (et pourront incidemment être facturés indépendamment).

2. Le calcul du taux de crédit dans le cadre d’un contrat de crédit variable

Outre la modification en regard des frais d’inscription ou de consultation d’un registre de la publicité des droits, le Projet de loi modifie l’article 72 Lpc et le mode de calcul du taux de crédit actuel en prévoyant que les éléments suivants n’ont pas à être pris en compte :

Les frais d’adhésion et de renouvellement exigés dans le cadre d’un contrat pour l’utilisation d’une carte de crédit, à la condition que ces frais ne soient exigés qu’une fois par année;

La valeur d’un rabais ou de l’escompte auquel le consommateur a droit s’il paye comptant;

Les frais de remplacement d’une carte de crédit perdue ou volée.

3. D’autres frais pouvant être réclamés au consommateur

Outre son droit aux frais de crédit, le Projet de loi emporte une modification à l’article 92 Lpc et prévoit que le commerçant pourra aussi réclamer au consommateur les frais suivants :

Les frais déboursés par suite du refus d’acceptation, par une institution financière, d’un chèque ou autre effet de paiement émis par le consommateur;

Les seuls frais déboursés par suite de l’impossibilité d’exécution d’un virement de fonds convenu avec le consommateur.

4. La modification d’un contrat de crédit

Le Projet de loi modifie également l’article 98 Lpc relatif à la modification d’un contrat de crédit pour prévoir que dans l’éventualité où les parties à un contrat de crédit désirent modifier certaines de ses dispositions, la modification apportée doit être constatée dans un nouveau contrat ou dans un avenant au contrat original.

Également, le Projet de loi prévoit qu’une modification ayant pour effet d’augmenter le taux ou les frais de crédit ne peut être apportée qu’à la demande du consommateur.

5. Ajouts au formulaire de demande de carte de crédit

En outre des exigences déjà prévues à la Lpc, le formulaire de demande de carte de crédit ou les documents qui l’accompagnent devront désormais contenir le versement périodique minimal ou le mode de calcul de ce versement pour chaque période.

De plus, toute demande relative à un contrat de crédit variable devra indiquer la limite de crédit souhaitée par le consommateur. Le commerçant ne pourra consentir une limite de crédit supérieure.

6. L’imputation des paiements en présence de plusieurs dettes

Dans l’éventualité où un consommateur est débiteur de plusieurs dettes auprès d’un même commerçant, le Projet de loi prévoit que le commerçant devra d’abord imputer tout versement sur la dette portant le taux de crédit le plus élevé, puis sur les autres dettes par ordre décroissant de taux de crédit.

7. La notification de l’avis de dépassement de la limite de crédit

À la suite de l’ajout de l’article 128.1 Lpc dans une refonte antérieure, le Projet de loi emporte la modification de cette disposition afin de préciser que le commerçant doit utiliser l’adresse technologique du consommateur pour lui transmettre l’avis avant qu’il puisse y avoir un dépassement de la limite de crédit, tout en précisant le montant qui demeure disponible pour le crédit.

8. Les contrats visant la location à long terme

Le Projet de loi prévoit de nombreuses modifications à l’encadrement contractuel de l’octroi de crédit et de la location à long terme de véhicules, tant eu égard à la forme de tels contrats qu’en regard d’obligations substantives, notamment de la détermination de la valeur du bien, la valeur de l’acompte ou du bien donné en échange, la détermination de la valeur résiduelle, l’exercice d’option conventionnelle d’achat et la détermination des frais et taux de crédit dans le cadre de tels contrats.

9. La nécessité d’un permis pour offrir de conclure un contrat de crédit variable ou un contrat de louage à long terme à coût élevé

Le Projet de loi modifie l’article 321 Lpc afin de prévoir que le commerçant qui conclut des contrats de crédit variable et le commerçant qui conclut un contrat de louage à long terme à coût élevé devront détenir un permis émis par l’Office de la protection du consommateur pour ce faire.

10. La publicité du crédit pour le louage à long terme de bien

En outre des dispositions déjà applicables de la Lpc, le Projet de loi incorpore de nouvelles exigences en regard de la publicité du crédit en prévoyant l’interdiction de faire référence à un taux de crédit implicite sans le divulguer, ou divulguer un tel taux sans qu’il ne soit calculé conformément à la loi.

11. Des pouvoirs accrus des tribunaux

De par le Projet de loi, la Lpc octroiera de nouveaux pouvoirs aux tribunaux dans le cadre d’un litige découlant d’un contrat de crédit.

Désormais, le tribunal, sur demande du consommateur, pourra suspendre le remboursement du solde dû par celui-ci dans le cadre d’un contrat de crédit (sauf dans le cadre d’une demande dans le contexte d’une action collective.

Le tribunal pourra aussi désormais ordonner la résiliation d’un contrat de service sur demande du consommateur si celui-ci n’est pas en mesure de remplir ses obligations et de remédier à un défaut dans un délai de 30 jours. Dans un tel cas, la résiliation du contrat éteindra les obligations contractuelles du consommateur.

L’affichage et l’exactitude des prix

Dans le domaine de la vente de produits alimentaires destinés à la consommation humaine, le Projet de loi prévoit, par l’entremise d’une nouvelle disposition, que le commerçant devra indiquer, à proximité du prix du produit en cause, s’il est assujetti aux taxes ou non.

Par ailleurs, le prix à l’unité, le prix par unité de mesure, le prix courant ainsi que le prix « non-membre » devront être visibles et clairs en tout temps, et le prix courant du bien devra être clairement indiqué à côté de toute tarification réduite.

Également, le projet de loi emporte une modification à la Politique d’exactitude des prix pour des commerçants utilisant la technologie du lecteur optique en prévoyant la majoration de 10 $ à 15 $ en cas d’erreur d’affichage pour la remise gratuite du bien ou l’octroi d’un rabais si le bien est de plus grande valeur.

Les pourboires

Finalement, et s’agissant de la mesure ayant probablement le plus attiré l’attention du public, le Projet de loi prévoit que toute proposition de pourboire par un commerçant doit être établie sur le prix de base du produit ou service en cause, avant les taxes applicables, et permettre au consommateur de déterminer le montant du pourboire, le cas échéant.

Conclusion

Bien que présentement inconnue, la date d’entrée en vigueur du Projet de loi et des modifications corrélatives à la Lpc et au Règlement d’application de la Loi sur la protection du consommateur pourrait être dans un proche avenir, alors que le ministre de la Justice anticipe qu’il sera sanctionné et qu’il entrera en vigueur d’ici décembre 2024. Certaines dispositions pourraient par ailleurs entrer en vigueur de façon progressive afin de permettre aux commerçants de s’ajuster à leurs nouvelles obligations.

À nouveau, ces mesures auront certainement une incidence sur le droit de la consommation et commandent diverses modifications des pratiques pour les commerçants concernés.

(1) Par le truchement de l’article 23 Lpc, le contrat avec un commerçant itinérant, contrat de crédit, contrat avec option d’achat, contrat de louage avec valeur résiduelle garantie, contrat de vente d’une automobile, contrat de droits d’hébergement en temps partagé, le contrat relatif à un enseignement, un entraînement ou une assistance, le contrat avec un studio de santé et tout contrat accessoire et le contrat à exécution successive de service fourni à distance.

(2) Article 58 al. g) et g.1) Lpc.

À propos des auteurs

Vincent de l’Étoile est un associé du groupe de litige chez Langlois et possède une expertise poussée dans les domaines du litige civil et commercial, des actions collectives et de la responsabilité du fabricant, ainsi qu’en droit de la consommation et en droit de la concurrence.

Sandra Desjardins est associée chez Langlois. Elle se consacre plus particulièrement aux actions collectives en droit de la consommation, en droit bancaire et en valeurs mobilières. Elle a également développé une expertise dans les recours entre actionnaires et dans la responsabilité des administrateurs et dirigeants.

Justine Brien pratique au sein du groupe de litige civil et commercial chez Langlois. À ce titre, elle représente et conseille des organisations et des entreprises dans le cadre de litiges variés, notamment des actions collectives qui touchent le droit de la consommation, le droit bancaire, la responsabilité du fabricant et l’accès à l’information.

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