Quand l’eau exclut toute possibilité d’indemnisation
Maude Gaulin
2024-12-18 11:15:47
Retour sur une décision de la Cour supérieure…
La Cour supérieure se prononçait récemment sur l’interprétation d’une clause d’exclusion pour les dommages résultant d’un sinistre provenant d’une inondation, dans l’affaire Gestion Michel Bernard inc. c. Promutuel Chaudière-Appalaches, Société mutuelle d’assurance générale.
Résumé des faits
Les Demanderesses sont respectivement propriétaires d’un immeuble situé à Beauceville, et opératrices d’un restaurant qui se trouve dans cet immeuble.
Le 16 avril 2019, un important débordement de la rivière Chaudière (la « Rivière ») survient à Beauceville.
En raison du débordement de la Rivière, l’immeuble a été lourdement endommagé. Selon les témoins, l’immeuble s’est retrouvé entouré de ± 3 pieds d’eau, un mur s’est effondré vers l’intérieur, et la conduite d’alimentation de gaz naturel de l’immeuble s’est rompue.
Analyse
L’assureur des Demanderesses refuse de les indemniser, au motif que leur police d’assurance respective contient une clause d’exclusion relativement aux sinistres provenant d’une inondation. Suivant ce refus d’indemniser, les Demanderesses poursuivent leur assureur.
La Cour doit donc se pencher sur les principes applicables en matière de litige entre un assuré et son assureur en matière d’analyse de garanties d’assurance. Pour ce faire, le Juge réitère lesdits principes, c’est-à-dire :
- L’assuré doit faire la preuve que le dommage peut relever de la protection initiale;
- Si une telle preuve est faite, il s’opère alors un renversement du fardeau de preuve, et il revient à l’assureur de faire la preuve que la protection n’est pas applicable, en raison d’une exclusion;
- Finalement, si la preuve de l’applicabilité de l’exclusion est faite, il s’opère un nouveau renversement du fardeau de preuve, et c’est alors à l’assuré de faire la preuve qu’une exception à l’exclusion s’applique.
Les Demanderesses s’appuyaient sur les décisions Progressive Homes Ltd. c. Cie Canadienne d’assurances générales Lombard et Développement les Terrasses de l’Île inc. c. Intact, compagnie d’assurance, pour supporter leur position selon laquelle leur assureur devait prouver que « la protection est écartée clairement et sans équivoque par une clause d’exclusion ».
Or, le Juge fait une distinction importante avec la situation exposée dans les arrêts précités. Dans ces deux arrêts, la question en litige portait sur l’obligation de défendre de l’assureur dans le contexte de la présentation d’une demande de type Wellington. Dans la situation actuelle, le tribunal devait plutôt déterminer si l’assureur avait l’obligation d’indemniser ses assurées. Dans cette dernière situation, il n’est pas requis que l’assureur présente une preuve « claire et sans équivoque ». Au contraire, c’est plutôt une simple preuve prépondérante que l’assureur devra présenter pour avoir gain de cause.
Ainsi, en appliquant ces principes nuancés à la situation à l’étude, le juge note ce qui suit :
- Toutes les parties s’entendent pour dire que les dommages subis font l’objet de la garantie d’assurance, de sorte que les assurées ont satisfait leur fardeau de preuve à cet égard;
- L’assureur a satisfait son fardeau de preuve, en démontrant de façon prépondérante qu’une exclusion s’applique, à savoir que les dommages ont été causés directement ou indirectement, en totalité ou en partie, par une inondation, des vagues, des marées, des raz-de-marée, des tsunamis ou la fuite ou le débordement d’un plan d’eau naturel ou artificiel;
- Les assurées n’ont pas fait la preuve, par prépondérance, qu’une exception était applicable, à savoir que les dommages ont été causés indirectement par une explosion. En effet, bien que les Demanderesses aient tenté de faire la preuve que les dommages avaient été causés par l’explosion de la conduite de gaz naturel plutôt que par l’inondation, le Tribunal a retenu que l’expert des Demanderesses n’était pas en mesure d’identifier la cause probable (et non simplement possible) et qu’il ne pouvait faire, à cet égard que des hypothèses, n’ayant pas les qualifications requises pour se prononcer;
Considérant tout ce qui précède, le Tribunal a rejeté la Demande introductive d’instance des Demanderesses.
Commentaires
Même si les principes généraux applicables à une question de détermination des garanties d’assurance sont bien connus, le Juge souligne qu’une importante distinction doit être faite, selon le cas où nous sommes devant une requête de type Wellington (en matière d’obligation de défendre) ou au fond (en matière de dommages directs) comme en l’espèce.
À propos de l’auteure
Maude Gaulin est avocate au sein du groupe de droit des assurances chez Robinson Sheppard Shapiro (RSS). Sa pratique est orientée vers le litige civil, principalement en matière de droit de la construction, et de la responsabilité civile contractuelle et extracontractuelle.