Suspension lors d’une campagne de syndicalisation
Béatrice Proulx
2025-01-28 11:15:20
Focus sur une récente décision du Tribunal administratif du travail…
Dans la décision Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec inc. c. Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec, 2024 QCTAT 4545, 16 décembre 2024, (j.a. François Demers), le Tribunal administratif du travail est saisi d’une demande d’ordonnance provisoire fondée sur les articles 3, 15, 16 et 111.33 du Code du travail (le « Code ») ainsi que sur l’article 9 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail déposée par monsieur Samuel Leclerc, occupant des fonctions de syndic adjoint chez l’employeur, l’OACIQ.
En effet, monsieur Leclerc allègue avoir été illégalement suspendu de ses fonctions pour fins d’enquête en raison de son rôle clé dans la campagne de syndicalisation dans son milieu de travail. Il est à noter qu’au moment d’entendre cette affaire, une requête en accréditation déposée par le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec inc. (le « SCFP ») était pendante devant le Tribunal.
À cette étape, monsieur Leclerc recherchait quatre ordonnances distinctes : (1) d’être réintégré dans son emploi; (2) d’être maintenu à son poste de syndic adjoint jusqu’à ce qu’une décision finale sur le fond de sa plainte en vertu de l’article 15 du Code soit rendue; (3) d’avoir accès aux bureaux de l’OACIQ et (4) de pouvoir communiquer avec ses collègues salariés de l’OACIQ afin qu’il puisse exercer ses activités syndicales.
L’employeur conteste la demande d’ordonnance provisoire au motif que les critères pour l’obtenir ne sont pas satisfaits. Le Tribunal reproduit les critères qui doivent être analysés de façon globale plutôt que pris isolément et qui s’apparentent à ceux de l’injonction interlocutoire devant les tribunaux judiciaires.
Le rôle du Tribunal se limite donc à décider si les circonstances justifient son intervention afin de faire cesser une contravention apparente au Code, jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue.
D’abord, selon le Tribunal, il parait manifeste que le critère de l’apparence de droit est satisfait. Monsieur Leclerc a démontré que les reproches formulés par l’employeur présentent une apparence d’atteinte à l’article 15 du Code, à savoir un comportement visant à sanctionner l’exercice d’un droit prévu au Code.
Pour conclure ainsi, le Tribunal se livre à une analyse contextuelle. Le 25 avril 2024, le syndicat dépose une requête en accréditation visant à représenter les salariés œuvrant au Bureau du syndic de l’OACIQ. En mai 2024, monsieur Leclerc fait l’objet d’une mesure disciplinaire qu’il conteste et considère comme une mesure de représailles. Plus tard, en novembre 2024, monsieur Leclerc est avisé par une collègue du syndic (dont les initiales sont « J.G. ») qu’elle a reçu une mise en demeure d’un courtier en lien avec une décision du Comité de discipline. Monsieur Leclerc tente d’obtenir une copie de la mise en demeure afin qu’il puisse demander l’assistance du SCFP pour défendre les intérêts de sa collègue, ce qu’elle refuse. Le 3 décembre 2024, J.G. fait volteface et remet à l’employeur une déclaration détaillant ses contacts avec monsieur Leclerc. Le 5 décembre 2024, monsieur Leclerc est suspendu pour fins d’enquête pour des manquements potentiels à son obligation de loyauté, de confidentialité et de civilité.
Le Tribunal considère qu’à la lumière de ces faits, monsieur Leclerc n’a pas tenté de contraindre J.G. d’utiliser les services du SCFP et qu’il n’a usé d’aucun stratagème ni de menace pour obtenir le document demandé. En conséquence, le fait de vouloir obtenir une copie de la mise en demeure peut raisonnablement constituer une facette de l’exercice de son droit d’association. La preuve fournie par l’employeur est insuffisante pour conclure que la suspension résulte d’un exercice raisonnable de son droit de gérance. Les autres critères, notamment le préjudice sérieux et irréparable et l’urgence, sont également satisfaits. En effet, monsieur Leclerc doit pouvoir exercer son droit d’association sans délai et il subit un préjudice du fait de l’interdiction d’accéder aux locaux de l’OACIQ et de l’interdiction de communiquer avec ses collègues. Ces paramètres sont cruciaux pour son rôle de porte-parole de la campagne de syndicalisation.
L’employeur n’ayant pas démontré qu’il était nécessaire ni même utile de soustraire le plaignant du milieu de travail pendant l’enquête, la demande d’ordonnance provisoire est accueillie.
À propos de l’auteure
Béatrice Proulx est avocate chez RBD. Elle consacre notamment sa pratique à la défense des intérêts des salariés provenant d’associations policières et ambulancières à travers le Québec. Elle se spécialise dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail et en matière de rapports collectifs du travail.