Un accident d’automobile n’est pas nécessairement un accident d’automobile

Patrick Henry
2025-03-17 11:15:21

Nos lecteurs se rappelleront que plusieurs décisions ont été rendues au cours des dernières années analysant, dans des cas très précis, ce qui pouvait constituer un accident d’automobile en vertu de la Loi sur l’assurance automobile (LAA). Plusieurs décisions ont ainsi été rendues tant par la Cour suprême du Canada, que par la Cour d’appel.
Le Tribunal administratif du Québec (TAQ) vient de rendre une décision intéressante et inusitée en date du 22 janvier 2025 (2025 QC TAQ 01383) dans l’affaire L.B. c Québec (Société de l’assurance automobile). D.C., époux de la requérante L.B. décède dans des circonstances particulières.
Souffrant de dépression, le conjoint venait d’être expulsé de la maison conjugale, il s’installe au volant de sa camionnette, ayant placé une bonbonne de gaz propane sur le siège du passager avant et deux bidons d’essence sur la banquette arrière.
Après avoir parcouru quelques centaines de mètres, il a allumé un incendie à l’intérieur du véhicule et a roulé très rapidement alors que le véhicule était en flammes. Sa course s’est finie contre un arbre. Deux explosions auraient été entendues par des témoins, une première lorsque la voiture roulait encore et une seconde, après l’impact.
Le coroner conclut au suicide, le conducteur étant décédé des suites de l’incendie de son véhicule qu’il a volontairement allumé, par l’effet combiné de l’inhalation de fumée et de la déprivation d’oxygène.
Puisque l’accident était survenu à l’occasion de l’usage du véhicule, la requérante (sa conjointe) demandait à la SAAQ d’être indemnisée, conformément à l’article 62 de la Loi (LAA). Après avoir repris la définition de « préjudice », la juge administrative du TAQ conclut que le fardeau revenait à la requérante d’établir par une preuve prépondérante que le décès de son conjoint avait effectivement été causé par un accident d’automobile.
Cette preuve devait suivre les critères prévus au Code civil du Québec, soit la prépondérance des probabilités. Dans l’arrêt Rossy, la Cour suprême avait statué : « Il n’est pas nécessaire que le dommage ait été produit directement par le véhicule lui‑même. Il suffit qu’il se soit réalisé dans le cadre général de l’usage de l’automobile. »
La décision répertorie quatre cas où des situations analogues furent considérées comme ne relevant pas de la LAA. Appliquant les principes à la cause en l’espèce, la juge administrative a statué que dans un premier temps, il est indiscutable que la collision d’une voiture avec un arbre entrainant de ce fait, une explosion constitue un accident d’automobile et qu’il en résulte des blessures, et ce, en toute probabilité.
La question plus précise qui se posait était toutefois de déterminer si le conducteur était déjà décédé avant la collision. Or, le rapport du pathologiste ayant constaté la carbonisation extensive du corps avait aussi noté l’absence de lésion traumatique (sauf celle causée par l’incendie). Ainsi la preuve prépondérante démontrait que la cause du décès était l’incendie et non les blessures causées par la collision avec l’arbre.
Le TAQ distingue cette situation de l’affaire Godbout c. Pagé de la Cour suprême du Canada où celle-ci avait conclu que « le préjudice procède d’une série d’événements liés de façon plausible, logique et suffisamment étroite, et dont le point de départ dans les deux cas est l’accident d’automobile. ».
En l’espèce cependant, le préjudice était selon la preuve, survenu avant la collision, ce qui avait amené la SAAQ à conclure qu’il n’y avait pas de lien entre l’usage de la camionnette et le décès, celle-ci n’étant que le lieu de l’évènement.
Par conséquent, le TAQ a conclu que, malgré toute la sympathie éprouvée à l’égard de la requérante, celle-ci n’avait pas le droit à une indemnité de la SAAQ pour le décès de son conjoint. Cette décision vient s’inscrire dans la longue foulée des décisions qui ont analysé des cas souvent particuliers pour conclure si la LAA trouvait application dans tous ces effets.
À propos de l’auteur
Patrick Henry est avocat plaidant et associé au sein du groupe Droit des assurances chez RSS. Sa pratique porte sur le litige civil, la responsabilité civile et professionnelle, et la responsabilité du fabricant.