Une constitution pour le Québec?
Daniel Turp
2022-07-07 11:15:00
Réagissant à de tels propos dans Le Devoir, le ministre de la Justice du Canada, David Lametti, prédisait quant à lui que les Québécois et les Québécoises sauraient, lors d’une telle conversation collective, « se faire entendre pour maintenir la Charte (canadienne) ». Qualifiée par le chroniqueur Michel C. Auger de « fausse bonne idée » et conduisant, selon André Pratte, à ce qu’au Québec « (n)os droits (soient) en lambeaux », la proposition de conférer une primauté à la Charte québécoise révèle, tout au contraire, l’intention de poser un nouveau geste d’autodétermination.
On peut penser qu’elle tire ses origines d’une revendication constitutionnelle formulée par le gouvernement de René Lévesque en 1985. Il est à souhaiter que la conversation collective évoquée par le ministre prenne la forme du débat autour de l’adoption d’une Constitution québécoise.
Dans son discours du 17 mai 1985, à l’occasion duquel il rendait public un projet d’accord constitutionnel, René Lévesque rappelait que « (l)e peuple québécois s’est donné en 1975 une charte des droits et libertés de la personne qui demeure, à ce jour, l’une des plus complètes qui soient au monde » et qu’« une telle charte, c’est l’instrument par excellence de l’affirmation des valeurs d’un peuple (…) exprim(ant) à la fois ses convictions les plus fondamentales et les choix et les arbitrages pas toujours faciles qu’il faut faire dans toute société. »
Il ajoutait : « (L)a Charte québécoise est plus généreuse que la Charte constitutionnelle canadienne. Elle a en outre un statut quasi constitutionnel et permet que la responsabilité ultime de l’affirmation des droits et libertés de la personne soit celle du législateur québécois, élu et responsable devant la population du bon fonctionnement de la société. » Il concluait que Québec devrait disposer du « pouvoir d’assujettir ses propres lois à la seule Charte québécoise des droits et libertés de la personne ».
Souveraineté parlementaire
Cette proposition n’a jamais fait l’objet d’une délibération publique et il est heureux qu’elle soit aujourd’hui réanimée dans le contexte d’un débat que le ministre Jolin-Barrette présente comme un enjeu de souveraineté parlementaire et que ses adversaires considèrent comme celui d’abus du recours aux dispositions dérogatoires.
Le forum approprié d’une conversation collective sur ces questions et sur la proposition du ministre Jolin-Barrette devrait par ailleurs être celui qui sera institué pour élaborer une première Constitution québécoise dont il dit souhaiter l’adoption, qui semble par ailleurs avoir maintenant l’aval du premier ministre François Legault.
Appelée à s’inscrire dans un processus historique ayant conduit à ce jour à l’adoption de plusieurs lois fondamentales à caractère plus précis, telles la Charte des droits et libertés de la personne, la Charte de la langue française et la Loi sur la laïcité de l’État, et à celle de Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, une démarche visant à doter le Québec d’une Constitution formelle serait l’aboutissement d’une évolution destinée à doter le Québec de sa propre identité constitutionnelle.
La conversation collective autour de l’adoption d’une Constitution québécoise permettrait d’ailleurs d’échanger — et de forger un large consensus — autour du rééquilibrage entre les droits individuels et les droits collectifs de la nation québécoise que le ministre Jolin-Barrette appelle de ses vœux.
L’enchâssement des droits garantis dans la Charte québécoise dans une Constitution québécoise dont la modification serait assujettie, par exemple, à des procédures de majorité qualifiée à l’Assemblée nationale, aurait aussi comme conséquence de renforcer et de pérenniser la protection des droits fondamentaux, tant individuels que collectifs. Et il s’agirait là d’un acte qui démontrerait à nouveau la volonté du Québec d’être libre de ses choix.
Daniel Turp est professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et président de l’Institut de recherche sur l’autodétermination des peuples et les indépendances nationales. Ce texte est d’abord paru au Le Devoir.