Vol n’équivaut pas négligence
Collectif D'auteurs
2024-01-05 11:15:00
Focus sur un récent arrêt de la Cour d’appel du Québec en matière de droit des assurances…
Dans un arrêt récent, la Cour d’appel du Québec a confirmé la décision de l’Honorable Chantal Corriveau de la Cour supérieur selon laquelle, une partie ne peut bénéficier des présomptions de responsabilité du Code civil du Québec lorsqu’il y a absence d’un lien contractuel entre les parties.
Dans de tels cas, ce sont plutôt les règles de la responsabilité extracontractuelle qui s’appliquent et en l’absence de faute, la partie demanderesse ne peut obtenir indemnisation.
Quoique cette conclusion puisse sembler évidente, la particularité des faits en l’espèce met en lumière les subtilités au travers desquelles les deux paliers de Cour ont dû naviguer pour en arriver à ce résultat.
Transport Kahkashan, l’Appelante, est une entreprise oeuvrant dans le domaine du transport de marchandises possédant plusieurs tracteurs et remorques. Le 5 juillet 2016, une remorque mesurant plus de 50 pieds de long est accidentée lors d’un transport de Montréal à New York.
Ainsi, cette dernière revient à Montréal et est entreposée dans la cour de Garage RB, entreprise œuvrant dans le domaine de réparation d’équipements et machineries lourdes, à Laval.
Étant dans l’impossibilité d’effectuer les réparations nécessaires, Garage RB contacte un représentant chez Remorque Syr Plus (ci-après « SYR »), l’assurée de l’Intimée, pour obtenir une soumission.
Le 18 juillet 2016, après propositions diverses, Garage RB accepte une soumission prévoyant l’utilisation de pièces neuves. Les pièces sont donc commandées et en attente de réception.
Ce n’est qu’à la mi-septembre 2016 qu’un chauffeur de l’Appelante conduit la remorque accidentée de la cour de Garage RB à l’établissement de SYR. La remorque de l’Appelante demeure entreposée sur les lieux de la mi-septembre au 5 octobre 2016. C’est à cette date qu’un employé de SYR remarque l’absence de ladite remorque et la signale volée.
La question principale qui se pose est la nature de la relation entre l’Appelante et l’Intimée. Dans les présentes circonstances, si cette dernière est contractuelle, l’Appelante pourra se prévaloir des présomptions de responsabilités prévues en matière de contrats de dépôt et de service.
Cette présomption prévue à l’article 2289 C.c.Q. veut qu’en cas de perte, la responsabilité pour les dommages encourus incombe au dépositaire à moins de prouver force majeure. Dans le cas contraire, une faute extracontractuelle devra être prouvée.
La confusion entre les personnes morales impliquées et contractantes est à la base du présent litige. C’est pourquoi, la juge en première instance, a pris le soin de dénouer l’organigramme contractuel, d’analyser la preuve soumise pour ensuite juger qu’il y avait absence de lien contractuel entre Transport Kahkashan et SYR.
En effet, Transport Kahkashan était étrangère au contrat de service liant SYR et Garage RB, la dernière n’étant pas qualifiée de mandataire de l’Appelante. Conséquemment, elle ne pouvait bénéficier des présomptions soulevées puisque le fondement juridique était plutôt extracontractuel. Il fallait donc déterminer si une faute avait été commise à l’égard de l’Appelant, ce que la Cour a nié.
L’Appelante se pourvoi contre ce jugement en prétendant qu’elle a conclu un contrat de service avec dépôt accessoire à titre onéreux avec la cliente de l’Intimée pour la réparation de sa remorque par la soumission du 18 juillet 2016. Selon elle, cette soumission constituait une offre de contracter à son attention. La juge aurait erré en concluant en l’absence de contrat entre les parties.
Cette prétention est rejetée par la Cour d’appel. Elle énonce que la juge a bien considéré toute la preuve et a, à bon droit, conclu que la preuve prépondérante démontrait que le 18 juillet 2016, SYR contractait avec Garage RB en son nom propre et non en celui de l’Appelante. La conclusion relativement à l’absence de lien contractuel est maintenue.
La seconde question abordée est la présence d’une faute génératrice de responsabilité.
En l’espèce, la Cour d’appel a, du même souffle nié la présence d’une erreur manifeste et déterminante de la juge de première instance et confirmé l’absence de faute à l’égard de l’Appelante.
En effet, elle réitère que, dans le cas présent, l’absence de mécanisme de surveillance ou de sécurité sur le site d’entreposage des remorques en attente de réparation, le long délai encouru avant de découvrir le vol et l’absence d’isolation du lieu réservé aux remorques entreposées ne constituait pas de la négligence.
SYR n’aurait pu savoir et prévoir que le vol d’une telle remorque, dont le déplacement ne pouvait se faire que par un camion de taille imposante et dont le déplacement n’était à la portée de tous, était un évènement prévisible.
La juge de la Cour supérieure n’ayant commis aucune erreur manifeste et déterminante quant au régime de responsabilité ainsi qu’à l’absence de faute, la Cour rejette l’appel et maintient la décision de première instance.
Cet arrêt met en lumière l’importance de connaître l’identité de son cocontractant et souligne le fait que la prudence d’un n’est pas la diligence de l’autre.
À propos des auteurs
Marc-Olivier Brouillette est associé au sein du groupe droit des assurances chez Robinson Sheppard Shapiro.
Sa pratique porte principalement sur le droit de la construction et l’assurance ainsi que la responsabilité civile générale.
Paula Maurin s’est jointe à Robinson Sheppard Shapiro en tant qu’étudiante en mai 2021 à la suite de sa troisième année de droit à l’Université de Montréal.
Avant ses études en droit, elle a effectué un baccalauréat en Études internationales à la suite duquel elle a fait un stage en tant qu’adjointe parlementaire du bureau de circonscription d’une députée fédérale.