La Jeanne d’Arc du Barreau
Céline Gobert
2012-05-24 15:00:00
Le hic ? Elle est juriste d’entreprise et travaille à l’époque à la State Street Bank au Luxembourg.
Et au Québec, un juriste d’entreprise européen doit obligatoirement être membre du Barreau du Québec. Sinon, il n’est pas reconnu comme avocat.
« L’avocat québécois qui va en Europe ne rencontre aucune barrière contrairement à l’avocat français qui vient travailler au Québec. Je trouve cela bien injuste », dit Me Grob. Malgré son Barreau du Luxembourg, elle ne peut exercer sa fonction en terre québécoise.
Elle sera alors secrétaire juridique. En attendant.
Le 5 mai 2010, après une grossesse et un grave accident de marche qui l’immobilise plusieurs mois, elle entre chez Langlois Kronström Desjardins. Elle y reste trois mois, avant de rejoindre, symboliquement deux ans jour pour jour après son arrivée au Québec, un autre cabinet dont elle préfère ne pas voir le nom mentionné.
Une expérience aux allures cauchemardesques qui va durer 18 mois au total.
« Je ne veux pas leur faire de publicité. C’est là que j’ai expérimenté les problèmes d’interface culturelle. Vous savez, on essaie de s’adapter aux Québécois mais quand personne ne vous tient la main, on passe pour une extraterrestre », dit-elle. En voyant son CV, on lui promet d’abord un poste à la hauteur de ses compétences. Cela ne se fait pas.
Elle restera, dit-elle, d’un bout à l’autre de son contrat, avec l’étiquette de secrétaire juridique collée dans le dos.
Amitié
C’est dans ce cabinet-là, pourtant, à l’automne 2010, qu’elle rencontre Me François-Xavier Simard, avocat chez Welch Bussières depuis février 2012. La juriste de 34 ans l’impressionne parce qu’elle a su jouer cartes sur table, et « a eu le culot de divulguer son vrai CV », confie-t-il. Voir tant de différences faites entre les québécois de souche, et les autres, le dérange au plus haut point.
Il en fait alors un devoir personnel : ensemble, ils vont trouver une solution.
« Nous sommes alors partis en croisade contre le Barreau du Québec, en janvier 2011, pour obtenir ce que l’on appelle un permis restrictif temporaire », explique Me Grob. Un permis qui lui donnerait la possibilité d’exercer en droit européen, communautaire, français et luxembourgeois.
Mais, huit mois plus tard, 7h du matin, par voie d’huissier, la décision tombe : Me Grob essuie un refus du Comité d’Accès à la Profession. Le Barreau la trouve bien présomptueuse d’effectuer cette demande, dit-elle.
Le pire ? L’article 23.
Malgré sa maîtrise de juriste et le Barreau du Luxembourg en poche, il exige d’elle un baccalauréat en droit québécois.
« Comment la demanderesse peut-elle demander d’être admise au Barreau et inscrite au Tableau de l’Ordre avant même d’avoir obtenu son baccalauréat en droit? La protection du publie en souffrirait et la demande de la demanderesse est prématurée », lit-on dans la décision.
« Là, c’est la claque ! », dit-elle.
Article 42.1
Au cœur des épreuves, la juriste pense souvent à plier bagage. Vit trois mois de maladie, se coupe un peu du monde, dépense plus de 2000 $ pour simplement pouvoir exercer son métier.
Sans sa fille de 9 ans, dit-elle, elle aurait craqué.
Sans le soutien de Me Simard, elle aurait peut-être tout laissé tomber.
« Il m’a mis un coup de pied dans le cul comme on dit en bon français et m’a rétorqué : moi je vais faire appel à ta place. C’est mon nounours, nous sommes un binôme indissociable. Cela faisait 24 ans qu’il n’avait pas plaidé et le voir faire pendant 2h30, c’était très émouvant. »
Ce n’est qu’après un an de lutte qu’elle obtient gain de cause. En janvier 2012. Le Comité des Requêtes évoque alors une grossière erreur de droit en s’appuyant sur l’article méconnu 42.1 des Codes de la Profession. Un article qui s’applique à l’ensemble des Ordres.
La décision fait jurisprudence : Me Grob est la première juriste européenne devenue membre du Barreau du Québec sans avoir fait l’Ecole du Barreau. L’article 42.1 existait avant la décision, mais elle fut la première à s’en servir.
Le permis lui ouvre alors la porte, toujours sous l’aile de Me Simard, du cabinet Welch Bussières, « réactif sur le marché des USA, et qui cherchait une personne pour l’Europe », dit-elle.
« L’équipe est jeune, en tant que femme c’était une véritable bouffée d’air, cela m’a donné de la force. Enfin, j’étais considérée pour ce que j’étais vraiment. »
Le 24 février, parce qu’elle a complété des cours à l’université, il lui est enfin possible d’exercer en droit des affaires internationales. Un mois plus tard, son champ de pratique s’étend au droit de l’immigration. Chez Welch Bussières, cabinet qui n’a cessé de la soutenir dans ses démarches selon elle, elle pratique désormais en immigration d’affaires.
« Je travaille maintenant main dans la main avec le Barreau: il me réfère des juristes d’entreprises européens et je me charge de les accueillir, les coacher, assurer l’intégration socio-économique des familles.»
D’ailleurs, Welch Bussières vient d’embaucher une juriste d’entreprise roumaine dans ses bureaux montréalais. Comme adjointe de l’un des avocats. Et elle va demander, elle aussi, le-dit permis.
Me Grob a ouvert la voie.
Victoire
« Le Barreau s’est incliné, dit-elle. Aujourd’hui on me surnomme : la Jeanne d’Arc du Barreau. » Le Président du Barreau du Québec est même venu de Québec à Montréal pour l’assermenter seul alors qu’il s’agit d’habitude d’assermentations collectives.
« Cela donne un espoir à tous les immigrés. Ils gagnent un sentiment d’appartenance à la société québécoise, une reconnaissance. Cela a prouvé l’ouverture du Barreau à l’Europe.» Le permis, extensible mais révisé chaque année, offre donc la possibilité aux juristes d’entreprise de devenir membres du Barreau du Québec.
En parallèle, ils ne peuvent exercer que dans certaines matières, et doivent compléter une liste de 15 cours dans une université québécoise, sur une période de cinq ans. Tout immigré peut désormais demander à son ordre professionnel un permis de travail restrictif. Un dentiste, par exemple, pourra poser des plombages, sans pouvoir arracher des dents, explique-t-elle.
Il y a quelques jours, elle était au salon de l’immigration. L’occasion pour elle de constater que de nombreux immigrés rencontrent les mêmes difficultés qu’elle. Les gens viennent la voir, lui demande conseil. Pour elle, l’enjeu est désormais multiple : les entreprises doivent savoir que ce permis existe, les immigrés doivent en faire la demande.
« Maintenant, les immigrés sauront qu’une avocate à Québec et à Montréal, pleine de compréhension, les attend pour les aiguiller dans le noir.» Car l’article 42.1, le rappelle-t-elle, est encore méconnu. « J’ai téléphoné à l’Ordre des Pharmaciens, il y a peu, et il n’avait pas connaissance de ce permis », dit-elle.
Et, après tant d’épreuves le message qu’elle veut faire passer est simple : « il faut toujours croire en ses rêves et s’accrocher pour les réaliser… »
En savoir plus :
- La décision du Comité d'accès à la profession peut être consultée ici.
- Le jugement du Comité des requêtes est disponible ici.