La police des comptables
Martine Turenne
2015-11-26 14:15:00
« Je suis policier… et comptable ! », dit-il en riant. Ou plutôt, comptable… et policier, puisqu’il a d’abord gradué en administration des affaires –comptabilité- à l’Université de Sherbrooke avant de faire sa technique au collège Ahuntsic.
Il était à l’embauche du service de Vérification interne au Canadien National, dans les années 90, lorsque l’entité a été transférée au service de la Police du transporteur ferroviaire. Pour occuper ses fonctions de directeur, enquêtes spéciales, il lui fallait le titre de policier. « On a trouvé que c’était plus facile de transformer un comptable en policier que l’inverse! », dit-il.
Peu de comptables peuvent ainsi se targuer, lorsqu’ils assistent les corps policiers dans leurs enquêtes criminelles, d’avoir une connaissance aussi approfondie de leur travail.
« Défroqué » de la police en 1995, André Lepage a d’abord fondé son cabinet, puis joint par la suite de plus grandes firmes, jusqu’à son arrivée chez EY en juillet. Il y dirige une équipe composée d’une dizaine de juricomptables, qu’il compte amener vers de nouveaux sommets.
« Nous sommes le secret le mieux gardé en ville », dit-il. Des professionnels –et surtout des professionnelles- « allumés, intelligents, à l’écoute des clients, à la fine pointe de la techno, et qui ont développé une approche pragmatique des affaires.»
Il compte faire mieux connaître les diverses compétences de cette équipe qui enquête sur des fraudes, de la corruption, des détournements de fonds et autres crimes économiques, et qui quantifie les préjudices subis. Il est en mode croissance et embauche. « Tant que le marché permet de l’absorber. » La criminalité à cols blancs est celle du 21e siècle, dit-il.
Le bonheur des grands cabinets
Pour avoir en connu de plus petits, André Lepage préfère les grands cabinets. Et c’est dans cet environnement qu’il compte accomplir le dernier sprint de sa carrière, commencé il y a plus de 25 ans. « J’aime les grosses équipes », dit-il.
La sienne fait partie du groupe d’audit du géant EY, présent dans 140 pays répartis sur les cinq continents. « L’avantage, c’est le réseau. J’ai des mandats qui m’amènent à l’extérieur du Québec. Avec 3500 professionnels affectés à la juricomptablité à travers le monde, j’ai toute l’expertise voulue. Si j’ai besoin d’un informaticien, d’un économiste, ou d’un spécialiste de telle question, je l’ai. En boutique, tu n’as pas ça. »
Malgré l’importance de EY et l’étendue des services offerts, il dit avoir eu très peu de conflits d’intérêts à gérer à ce jour. « Et il y a tellement d’avantages qui pallient à ces possibles conflits d’intérêts.»
Contre le harponnage
La criminalité à cols blancs change, bien sûr, au rythme des avancées technologiques. « Ça crée constamment de nouvelles opportunités pour les fraudeurs. »
La grosse affaire, ces jours-ci, est l’harponnage en entreprise, ce qu’on appelle « la fraude au président » : un employé ciblé reçoit un courriel qui a toute l’apparence d’un vrai en provenance du bureau du président, l’enjoignant à investir dans tel ou tel domaine. « Ça a l’air très crédible et beaucoup tombent dans le piège.»
Ses clients sont tant des grandes entreprises, publiques ou privées, que des sociétés, des administrations publiques ou municipales. La moitié des mandats de l’équipe provient de cabinets d’avocats, venus consulter lorsqu’ils croient que leur client a été victime de fraudes, et qu’il s’agit de quantifier les dommages.
Il conseille aux avocats de contacter un juricomptable le plus vite possible, dès qu’il y a soupçons de fraudes et ce, afin d’établir une stratégie dès le départ. « Parfois, on arrive tard dans le processus.»
Les crimes économiques sont considérés comme non violents, poursuit André Lepage. Le sang ne coule pas. « C’est pourtant très violent. On peut perdre les économies de toute une vie. À mes yeux, c’est aussi dommageable que d’être molesté physiquement, voire pire. Ça détruit des vies, des familles, ça met en péril la survie d’entreprises et par le fait même, de tous ceux qui gravitent autour. Ça peut finir par de véritables drames.»