Des avocats à 30$ de l'heure!
Emeline Magnier
2013-10-10 15:00:00
Sollicitation pour les uns, offre de service pour les autres, ces deux avocats y annonçaient le lancement de leur site internet.
En plus de proposer la vente de testament présenté comme valide pour le Québec, le site annonce également un service de recherche et de rédaction d'avis juridiques dans différents domaines de droit.
« Nos services sont à un prix dérisoire: seulement 30$ CAN de l'heure pour nos services. Oui, des membres du Barreau travaillant pour 30$ de l'heure », peut-on lire dans le courriel de lancement.
"Pour les testaments, ce sont des documents pré-établis sur Internet, vous payez et vous recevez automatiquement le template", nous explique Me Belynda Francoeur, 28 ans, jointe à Paris par Droit-inc un peu plus tôt cette semaine.
Des modèles conçus d’avance, un service rapide et automatique, pas de bureau ni de fax: ce serait le secret de ces avocats pour être capables de facturer leurs clients à ce tarif, le côté précieux des grands bureaux en moins, souligne la jeune femme.
"Il faut s'adapter et prendre de l'avance. Avec la mondialisation et Internet, on va vers la mobilité des avocats", poursuit celle qui considère repenser les méthodes de travail et développer d'autres approches.
De quels genres de prestations parle-t-on?
Toujours d'après le courriel, les domaines de droit couvert seraient nombreux: droit criminel, droit familial, droit civil et droit international, les avocats étant présentés comme possédant diverses expertises.
Rajouter une clause dans un contrat ou répondre à une question simple - est-ce que je peux témoigner par écrit en cour criminelle? - sont les prestations envisagées par Me Francoeur.
"On ne commencera pas sur une question philosophique ou sur une question de droit si on veut rester à 30$ de l'heure", explique l'avocate.
Qui effectuera la recherche ou rédigera l'avis juridique?
"Ce n'est ni moi ni Me Brousseau qui le ferons, mais nos collaborateurs". Si le site internet fait référence à du personnel et à des avocats au pluriel, aucun nom n'y est pour autant mentionné.
"Il s’agit d’avocats de notre réseau à qui on confiera le travail s'ils veulent le prendre", dit la jeune avocate. Pour elle, aucun problème de transparence puisque les avocats signent automatiquement l'avis juridique qu'ils auront rendu.
Mais ces juristes de “deuxième plan”, combien chargeront-ils leurs confrères entremetteurs pour leurs prestations? "Moins de 30$ de l'heure", répond Me Francoeur, qui dispose déjà de contacts prêts à travailler à ces conditions.
Qui sont Me Francoeur et Me Brousseau?
Membre du Barreau du Québec depuis 2011, Me Francoeur a été avocate au Service de recherche de la Cour du Québec auprès de la juge en chef pendant un an.
Inscrite à un programme des HEC, c'est en cherchant un stage qu'elle a rencontré Me Sébastien Brousseau, également membre du Barreau du Québec, et établi en Thaïlande. L'avocat lui a alors proposé de l'accueillir au sein de son cabinet Isaan Lawyers, à Nakhon Ratchasima, une ville du Nord-Est de la Thaïlande.
Contacté par courriel, Me Brousseau ne fait pas de secret de Polichinelle avec son histoire personnelle. «Je suis plutôt connu au Barreau, mais ce projet n'a rien à avoir avec mon passé et mes batailles avec le Barreau», écrit-il.
Inscrit au Tableau de l'ordre en 2007, sa demande d'admission avait été rejetée à cinq reprises au regard de ses antécédents judiciaires: il a plaidé coupable à une accusation d'homicide involontaire pour avoir poignardé sa mère en novembre 1990. Après avoir été emprisonné, il a été libéré sous caution en 1992.
En Thaïlande, il n'exerce pas comme avocat, mais comme conseiller juridique, faisant également le lien entre les clients occidentaux et les tribunaux, explique Me Francoeur.
"Nous sommes collaborateurs, nous avons lancé une idée ensemble", dit Belynda Francoeur en faisant référence au site internet.
Si celui-ci comporte quelques coquilles et requiert encore un peu de travail, d'autres sites devraient voir le jour au début de l'année prochaine, selon elle.
"On veut viser plus gros et se diversifier. Faire du droit civil, du droit des affaires et de la procédure", dit l'avocate.
Comment procède-t-on pour profiter du service?
”Envois-nous d’abord un message pour que l’on puisse estimer le temps nécessaire et vous pourrez payer nos services ici”, indique le site, qui met à disposition des usagers le paiement via PayPal.
"On dit si on peut le faire ou pas, et voici notre prix", explique l’avocate qui décrit son service comme rapide et à l'heure juste. Loin d'elle l'idée de faire n'importe quoi et de sortir de son domaine de compétence.
Le tarif horaire a été fixé en référence à un programme qui avait été mis en place par le Barreau du Québec et proposait la première consultation à 30$.
"Si les gens ne sont pas satisfaits et que le testament ne répond pas à leurs attentes, ils seront remboursés", indique Me Francoeur, qui précise cependant être certaine de sa compétence.
Travailler uniquement via Internet, n'est-ce pas dangereux?
Pas du tout, répond l’avocate. Elle explique qu'avec les échanges de courriels, elle dispose de la date, de l'heure et d'une trace écrite de la question posée. "On est donc protégé des deux côtés", dit-elle.
Et si le client en ressent le besoin, il serait aussi possible de contacter les avocats par Skype, même si l'échange de courriels est privilégié.
Cette information est d'ailleurs clairement mise en avant sur le site internet: «Nous fonctionnons complètement virtuellement. SVP, ne pas nous téléphoner mais envoyez-nous un courriel.»
Ont-ils déjà été contactés par des clients?
Des avocats se seraient montrés intéressés à la suite de la réception du courriel de lancement pour obtenir plus d'informations sur leurs prestations.
"Ce sont des avocats qui ne veulent pas embaucher de collaborateurs et souhaitent soumissionner à bas prix", explique Me Francoeur.
Pour le moment, quelques approches, mais pas encore de demande de service.
Et il n'y a pas que des confrères intrigués qui ont contacté les deux avocats. Le syndic aussi les a rejoints. "Ils nous ont souhaité bonne chance et se sont montrés enthousiastes face à l’idée", déclare la jeune femme.
Si pour le moment Me Francoeur voit les prestations proposées sur Internet comme un deuxième emploi, elle y croit à 200%. "C'est notre bébé, on ne compte pas les heures", indique-t-elle.
Elle espère que tout se passera bien et que les gens vont accrocher. Affaire à suivre…