Le printemps du Tribunal des droits de la personne (Partie 2)
Annick Poulin
2013-08-13 14:15:00
Tout d’abord, précisons qu’une décision que j’ai mentionnée dans mon billet précédent sera examinée par la Cour d’appel, soit l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9185-2152 Québec inc., concernant un homme non voyant qui s’est vu refuser l’accès au bar Radio Lounge de Brossard.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bertrand
Dans cette affaire, un portier de bar de danseuses et son employeur ont été condamnés solidairement à verser 3 000 $ à chacune des 4 victimes pour avoir effectué du profilage racial en refusant l’accès à la plus âgée d’entre elles, qui avait 38 ans, parce qu’elle n’avait pas ses pièces d’identité.
Le Tribunal a retenu que, en raison de préjugés voulant que certains groupes de Noirs soient plus susceptibles de menacer la sécurité au sein d’un établissement, les victimes ont été ciblées par le portier, une personne en situation d’autorité pour contrôler l’accès au bar, alors qu’elles n’avaient démontré aucun comportement objectivement menaçant ou dérangeant.
La Cour d’appel a accueilli la requête pour permission d’appel de cette décision.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Morin
La victime de discrimination fondée sur le motif de l’origine nationale dans ce dossier est une pharmacienne d’origine française qui a été insultée par une cliente qui s’impatientait en raison de l’attente au comptoir des ordonnances d’une pharmacie Jean Coutu.
Cette cliente, qui a dit à la pharmacienne qu’elle était incompétente et qu’elle avait «une salle gueule de Française», a été condamnée à verser 3 000 $ à titre de dommages moraux et 500 $ à titre de dommages exemplaires au motif qu'elle ne pouvait ignorer le caractère sérieux et blessant de ses insultes, qu’elle a proférées en public devant des employés et de nombreux clients.
C’est notamment en raison du caractère public de ces insultes que le Tribunal a rejeté la prétention de la cliente selon laquelle la pharmacienne avait violé son droit au secret professionnel en révélant à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse son nom et son adresse. Le Tribunal a conclu que la cliente avait elle-même relevé la pharmacienne d’une partie de son obligation de confidentialité puisque, en tenant ses propos insultants suffisamment fort pour qu’ils soient entendus par les personnes présentes, elle n’a pas considéré que ces paroles faisaient partie du secret professionnel qui la liait à la pharmacienne.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industrielle Alliance, assurances auto et habitation inc.
Dans cette affaire, un assureur a été condamné à verser 1 448 $ à titre de dommages-intérêts et 7 500 $ à titre de dommages moraux pour avoir résilié les polices d’assurance-automobile et assurance-habitation des parents d’une personne détenue en pénitencier ayant été autorisée à effectuer des sorties sans escorte à des fins de perfectionnement personnel et de rapports familiaux.
Le Tribunal a retenu que la résiliation de contrat dont les victimes avaient été l’objet était intrinsèquement liée à leur statut de parents puisque la présence de leur fils à leur résidence est elle-même indissociable du fait qu'il soit leur fils. C'est parce qu'ils sont les parents de leur fils que les plaignants ont accepté de le recevoir chez eux pendant ses sorties sans escorte et c'est précisément pour cette même raison que la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) a permis à leur fils d'y séjourner.
La règle de souscription de la défenderesse établit une distinction sur la base des antécédents judiciaires, lesquels ne constituent pas un motif de discrimination prévu à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Toutefois, selon le Tribunal, cette règle a un effet discriminatoire à l’égard de parents d’un enfant comme le fils des victimes, soit une discrimination fondée sur l’état civil, qui est l'un des motifs prévus à la charte. Le Tribunal a également conclu que la défenderesse avait porté atteinte à la dignité des victimes car, s’il est discutable d’inférer que quelqu'un soit moins digne de confiance du fait qu’il partage le toit d’une personne en voie de réhabilitation, il est injustifié de le faire lorsque cette cohabitation est prévue par règlement et ordonnée par la CLCC à des fins de réhabilitation.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Immeubles LLCN enr., s.e.n.c.
Dans cette dernière affaire, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse prétendait que la défenderesse avait refusé de louer un logement à la victime au motif qu’elle était la mère d’une autre locataire de l’immeuble. Elle réclamait à ce titre 2 366 $ à titre de dommages matériels, 5 000 $ à titre de dommages moraux et 2 000 $ à titre de dommages exemplaires.
Le Tribunal n’a pas cru la version de la fille de la victime, qui affirmait que la concierge de l’immeuble lui avait déclaré que le propriétaire de l’immeuble ne voulait pas louer à deux locataires de la même famille parce que, si ceux-ci partaient en voyage et mouraient en même temps, il se retrouverait avec deux logements vacants.
Me Annick Poulin est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2003. Elle contribue à L'Express dans les domaines du droit constitutionnel, des droits et libertés, de la propriété intellectuelle, de l'agriculture, du louage de choses ainsi que du droit disciplinaire et des professions.