Un mineur peut-il contracter seul?
Emmanuelle Faulkner
2015-05-29 11:15:00
Étant donné que le mineur travaillait à temps plein depuis quelques mois, la juge a retenu qu’il était raisonnable de conclure que l’entente pour le paiement de frais mensuels d’un téléphone cellulaire prêté par un ami visait à satisfaire ses besoins ordinaires et usuels au sens de l’article 157 du Code civil du Québec (C.C.Q.).
Dans quelles autres circonstances un mineur peut-il contracter seul ? En voici quelques exemples.
Perçage du nombril
Dans Bédard c. Roussin Parfumerie inc., les parents d’une enfant de 13 ans et 7 mois reprochaient à une entreprise d’avoir procédé au perçage du nombril de celle-ci sans leur consentement. Ils réclamaient 2 000 dollars en dommages-intérêts pour leur fille mineure en raison d’une atteinte à son intégrité physique. Ils demandaient aussi 1 000 dollars pour troubles, inconvénients et dommages découlant du non-respect de leur autorité parentale.
Or, la juge a retenu que le perçage du nombril, dont le coût était de 40 dollars, répond à une mode attirant les jeunes et ne présentant aucun risque pour leur santé. Selon elle, il s’agit donc d’un besoin ordinaire et usuel qu’une jeune fille de cet âge pouvait légalement satisfaire sans l’autorisation de ses parents.
Cette dernière n’a subi aucune atteinte à son intégrité physique ni aucun préjudice financier, ce qui confirme qu’il ne s’agissait pas d’un acte important nécessitant le respect des formalités de protection prévues par la loi.
Perçage de la langue
Par contre, compte tenu des risques pour sa santé, un mineur âgé de 13 ans ne peut se faire percer la langue sans le consentement du titulaire de l’autorité parentale (Corbeil c. Ladouceur (Boutique Enigma)). Il ne s’agit pas d’un besoin ordinaire et usuel pour lequel un mineur peut contracter seul.
Les risques médicaux inhérents au perçage de la langue ont été démontrés et, même si la jeune fille n’a pas témoigné, force est de conclure qu’elle a souffert et qu’elle ne pouvait consentir aux risques qu’elle a courus (enflure grave, difficulté d’élocution et de déglutition).
Les défendeurs ont été condamnés à payer une indemnité de 1 500 dollars pour le préjudice moral subi par la jeune fille ainsi que 2 000 dollars à titre de dommages exemplaires.
Contracter une police d’assurance-vie
À la suite d’une requête en jugement déclaratoire présentée par un assureur, le juge a conclu, dans SSQ, société d’assurance-vie inc. c. Rouillard, que le fils des défendeurs, alors âgé de 17 ans, avait la capacité de contracter une police d’assurance-vie.
En effet, le bénéfice de souscrire une assurance faisant partie de ses conditions de travail, il serait illogique de lui refuser les mêmes bénéfices que ceux accordés aux autres employés sous prétexte qu’il était mineur.
De plus, travaillant à temps plein, il était émancipé en ce qui concerne les conséquences et conditions de son emploi, ainsi que le prévoit l’article 156 C.C.Q. Selon le juge, le législateur québécois n’a pas voulu retirer aux personnes mineures le droit de désigner le bénéficiaire d’une assurance-vie, surtout lorsque celui-ci est l’héritier.
Contracter avec une équipe de hockey
Toute personne normalement constituée a besoin de loisirs. Un mineur âgé de 16 ans peut donc contracter avec une équipe de hockey afin de pratiquer son sport favori, car cela vise à satisfaire des « besoins ordinaires et usuels » au sens de l’article 157 C.C.Q. (Di Ruocco c. Association de hockey mineur Les Étoiles de l’Est inc.).
Achat d’un scooter
Dans Séguin c. Paradis, le fils mineur du demandeur avait acheté un scooter de celui du défendeur, au prix de 1 600 dollars. Après l’achat, le scooter n’étant pas fonctionnel, le jeune acheteur a dû débourser 569 dollars pour des réparations, qui n’ont toutefois pas réglé le problème. Vu l’état du véhicule, le coût des réparations à faire aurait pu largement dépasser son prix.
Bien qu’un mineur puisse contracter seul pour satisfaire ses besoins ordinaires et usuels, il peut cependant invoquer l’article 163 C.C.Q. s’il en subit un préjudice. En l’espèce, le juge a retenu que la somme payée était nettement supérieure à la valeur du véhicule et qu’il y avait donc une disproportion importante entre les prestations.
Par conséquent, il a conclu que le demandeur, au nom de son fils, était bien fondé à demander la nullité de la vente et qu’il avait droit à un remboursement de 1 500 dollars.
Emmanuelle Faulkner est conseillère juridique à SOQUIJ depuis 2010. Avant de se joindre à SOQUIJ, elle a notamment travaillé comme avocate au gouvernement fédéral et en pratique privée, en litige fiscal et civil. Enfin, elle a également exercé la fonction d’éditrice juridique chez LexisNexis Canada et de recherchiste au CAIJ. Elle écrit pour les Express en matière de contrats d’entreprise et de services, de contrats spéciaux, de vente, d’injonction, de mandat, de libéralités, de droit des personnes, de protection du consommateur et de transport.