«La cotisation, au cœur de la campagne»
Emeline Magnier
2015-04-15 15:00:00
Me Lu Chan Khuong, actuelle vice-présidente du Barreau du Québec, affrontera donc Me Luc Deshaies, qui a lui aussi déposé sa candidature pour exercer les plus hautes fonctions de l'Ordre.
Droit-inc s'est entretenu avec Me Khuong et lui a posé quelques questions sur ses propositions électorales.
Droit-inc : Numéro 2 du Barreau, vous devez aller en élections pour occuper la première chaise. Quel est votre sentiment face à ce changement des « règles du jeu » ?
Me Lu Chan Khuong : J'ai trouvé cela difficile au début ; les choses devaient être revues mais je me suis demandée pourquoi on n'a pas attendu un an. J'étais déjà vice-présidente, je suis formée, on m'a confiée des dossiers et je risque de ne pas voir la suite. Mais je ne m'en suis pas mêlée parce que cela me concernait. On a parfois privilégié la vitesse et certains points, qui n’ont rien d'alarmant mais qui pourraient devenir problématiques, devront être revus. Par exemple, on a mis fin à la règle de l'alternance Montréal-Québec-Région, et avec les nouvelles règles et la loi du nombre, on pourrait se retrouver à toujours avoir un bâtonnier de Montréal. Il faudra se pencher de nouveau sur cette question pour que tous aient voix au chapitre. La campagne électorale est cependant une bonne chose, et permet un débat même en dehors du milieu juridique.
Vous avez annoncé une réduction de la cotisation de 100 dollars pour l'an prochain. Pour vous la question financière c'est une priorité ?
C'est l'enjeu central de ma campagne. Beaucoup d'avocats ne sont pas intéressés par le Barreau et considèrent que ce sont toujours les mêmes qui y gravitent. Ils pensent que l'Ordre n'est là que pour la cotisation et les formations. Pour intéresser les gens, ça passe par la cotisation : les membres vivent dans un contexte de rigueur et pour des avocats qui pratiquent en petits bureaux, c'est beaucoup d'argent.
Nous avons ratissé dans les comités, et mieux géré les dépenses de logistique, comme les coûts des réunions. Il y a trois ans, il y avait eu une réunion du conseil général dans le Nord ; ça coûte une fortune et pour nous, c'est fini tout ça. Il faut respecter la capacité de payer des membres et faire la balance entre ce que ça coûte et ce que ça rapporte. Le surplus de 2,3 millions de dollars réalisé par le Barreau sera entièrement reversé aux membres et, l'an prochain, la troisième cotisation de 40 dollars prévue pour les TI ne sera pas demandée avec la cotisation, il y aura donc une baisse totale de 140 dollars. On aurait pu couper plus mais il faut être responsable : avec la nouvelle structure, certaines questions restent en suspens et il faut prévoir des montants suffisants.
Vous proposez aussi de diminuer l'assurance responsabilité professionnelle de dix à deux millions de dollars, ce qui ferait baisser la prime de 1200 à 700 dollars pour les avocats. La couverture sera-t-elle suffisante ?
Au cours des 20 dernières années, le fonds d'assurance n'a fait qu'un chèque de plus de deux millions de dollars, et il est toujours possible de s'assurer pour un montant supplémentaire au besoin comme ça se fait déjà parfois. Nous avons un bel historique depuis 2012 avec peu de réclamations et nous avons atteint le niveau de capitalisation nécessaire pour nous permettre de baisser la prime.
Sur votre plate-forme, vous indiquez vouloir mettre fin aux dépenses superflues. À quoi faites vous référence ?
Certains frais de déplacement peuvent être revus : pas besoin d'aller dans une Relais Château pour tenir une réunion à l'extérieur de Montréal. Le Barreau est membre de la Fédération des juristes du Canada et défraie 600 000 dollars pour la cotisation annuelle. Certains des services offerts sont en doublon avec ceux couverts par le Barreau, il faut donc s'asseoir pour revoir le rôle de chacun et étudier nos besoins.
Si je suis élue, l'an prochain, il n'y aura pas de Congrès annuel; ce sont des montants astronomiques. L'an dernier, il y a eu un déficit de 129 000 dollars ce qui est difficile à expliquer au vu du nombre de participants. Les coûts de participation sont élevés et tous les membres ne peuvent pas aller à Mont-Tremblant ou Charlevoix et assumer en plus les coûts d'hébergement. On pourrait l'organiser aux deux ans avec une autre structure.
Vous projetez de diminuer la rémunération du Bâtonnier. À combien selon vous devrait-elle s'élever ?
La rémunération actuelle du Bâtonnier est de 300 800 dollars; elle a toujours été fixée par rapport aux salaires des juges de la Cour supérieure. D'autres ordres paient plus leur président, d'autres moins, et je pense que c'est à ceux-là qu'il faut se comparer considérant la capacité de payer de nos membres. La rémunération pourrait être alignée sur celle du premier Ministre. (ndlr : 185 000 dollars).
Avec la nouvelle gouvernance, il n'y aura plus d'allocation versée au bâtonnier sortant ( ndlr : 150 000 dollars). Elle devait permette à l'ancien bâtonnier de pouvoir retrouver ses activités après son année d'absence. Désormais, le bâtonnier sera en place pour deux ans, voire quatre ans. On pourrait plus parler de réorientation de carrière et l'allocation de sortie n'a plus lieu d'être.
Vous proposez de remplacer 15 des 30 heures de formation continue par 15 heures de travail pro bono. N'est-ce pas néfaste pour la compétence des membres ?
La formation obligatoire a été instaurée en 2009 et doit être revue. C'est facile pour des avocats de la métropole d'assister à des formations en lien avec leurs domaines de pratique. D'autres suivent des formations sans lien avec leur pratique juste pour respecter leur obligation. Pour ceux qui en ont besoin, 15 heures de formation sont suffisantes. Le pro bono nous fait aussi apprendre et nous oblige souvent à revenir à la base, faire des recherches. C'est gratifiant, éducatif et c'est aussi notre rôle de s'impliquer. On doit aider à démystifier la justice.
Vous vous êtes engagée à effectuer un sondage pour dresser le portrait de la situation des jeunes. N'est-ce pas redondant avec l'étude en cours de l'AJBM ?
C'est très bien ce que fait l'AJBM mais il y a aussi des problèmes différents en région, qui se situent plus au niveau de la rétention que de la recherche d'emploi. Au Barreau du Québec, nous n'avons pas de statistique sur la question et il faut savoir quels sont les problèmes si on veut s'y attaquer. Il faut travailler en collaboration avec l'École du Barreau et regarder la situation de ceux qui pratiquent depuis moins de 10 ans. Si un avocat ouvre son bureau, il faut que ce soit par choix et pas par dépit.
Pensez-vous qu'il y a trop d'avocats et qu'instaurer un quota à l'entrée dans la profession pourrait être nécessaire ?
Qui sommes-nous pour venir mettre un frein aux ambitions en limitant le nombre d'avocats ? Ce serait inéquitable de couper à l'École du Barreau. Les étudiants travaillent fort pour obtenir leur baccalauréat et doivent avoir leur chance ; tous ceux qui sont capables de passer l'examen doivent être admis. Nous ne sommes pas trop d'avocats, il faut aller voir d'autres débouchés et s'intéresser à d'autres « parts de tarte ».
Me Luc Deshaies se présente avec une équipe. Pourquoi avez-vous choisi de faire campagne seule ?
Un administrateur doit être indépendant surtout pour un ordre professionnel. Il doit prendre des décisions dans l'intérêt de son ordre. Je ne pense pas qu'il faille une équipe pour imposer une vision. Chacun doit être élu par rapport à son bagage et son expérience. Si je suis élue, nous devrons travailler tous ensemble, faire table rase et prendre les meilleures décisions pour le Barreau.
Pour consulter le site internet de Me Lu Chan Khuong, cliquez ici.
Elle a été notamment présidente du Jeune Barreau de Québec (2006-2007), bâtonnière du Barreau de Québec (2010-2011), et membre du Comité de la formation professionnelle, du Comité des nominations, du Comité organisateur du Congrès et du Comité des requêtes.
En 2008, elle a reçu le prix Louis-Philippe Pigeon, décerné par le Jeune Barreau de Québec pour reconnaître son implication dans la communauté. En 2013, le Barreau du Québec lui a remis la distinction Advocatus Emeritus.