L’ex-juge Baudouin en conflit d’intérêts!
Julien Vailles
2016-11-23 15:00:00
L’affaire oppose les sociétés Canadian Royalties (« CRI »), demanderesse au dossier, ainsi que Nearctic Nickel Mines (« Nearctic ») et Ungava Mineral Exploration (« Ungava »), défenderesses. Ces parties avaient un contrat de joint-venture (coentreprise) depuis 2001, pour un projet concernant des opérations minières dans le Nord-du-Québec. CRI détenait un intérêt de 80 % dans ce projet, alors que Nearctic et Ungava se partageaient les 20 % restants.
Lors d’un différend, les parties avaient décidé de faire appel à l’arbitrage pour trancher le litige. Me Baudouin a été choisi comme arbitre, et a rendu sa décision, en 2014, sans accroc.
Or, il se trouve qu’en 2007, le joint-venture avait fait appel à la Banque de Montréal (BMO) pour contracter un prêt commercial. Lors de cette affaire, le cabinet Fasken Martineau avait dispensé des conseils juridiques à la BMO. Le problème : la BMO a subséquemment retiré son prêt à cause d’une mésentente entre les deux parties au joint-venture (CRI d’une part et Nearctic et Ungava d’autre part).
Les intérêts de la BMO se retrouvaient donc opposés à ceux du joint-venture. Or, au moment de rendre sa sentence, Me Baudouin était – et est toujours – associé chez Fasken!
Conflit d’intérêts
Il y a donc conflit d’intérêts, plaidaient Nearctic et Ungava, parce que ce faisant, on peut croire que des informations confidentielles ont été échangées depuis entre Fasken Martineau et Me Baudouin, et que Me Baudouin se retrouve arbitre d’un litige opposant deux parties opposées à la BMO, ancienne cliente de Fasken. En cette matière, il n’est pas nécessaire qu’il y ait effectivement eu transmission d’informations – seule compte la probabilité que ce soit le cas.
Cependant, condition essentielle, encore fallait-il que Nearctic et Ungava ne soient pas au courant de ce conflit d’intérêts au moment de la décision arbitrale. Le juge Michel A. Pinsonnault a conclu en ce sens, statuant que si le représentant d’Ungava savait bien que Baudouin travaillait pour Fasken, il ne pouvait cependant raisonnablement être au courant que Fasken avait compté la BMO dans ses clients. En effet, ce n’est que le 24 août 2015 qu’il aurait été mis au courant de ce fait, bien après que la sentence ait été rendue.
Sans annuler la sentence en question, le juge Pinsonnault a cependant cassé l’homologation de celle-ci, remettant les parties dans l’état où elles étaient auparavant. À noter que CRI vient de décider de porter cette décision en appel, a appris Droit-inc.
Me Dimitri Maniatis, du cabinet Langlois, agissait pour CRI dans cette affaire. Les défenderesses étaient représentées par Mes Karim Renno et Éva Richard, de Renno Vathilakis.
Joint par Droit-inc, Jean-Louis Baudoin a indiqué par courriel ne pas vouloir commenter l’affaire.
Pour consulter la décision, cliquez ici.
Aujourd’hui, il est associé principal et membre du groupe Litiges et résolution de conflits de Fasken Martineau. Durant sa carrière, il a publié de nombreux ouvrages en droit civil, incontournables pour le praticien, notamment Les obligations, La responsabilité civile et le Code civil du Québec annoté. On le considère comme le Pape du droit civil au Québec.