Entrevues

CJ Rio Tinto : « Le danger, c’est la stagnation »

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Céline Gobert

2016-12-06 15:00:00

Que fait-on quand on est conseillère juridique principale au sein de Rio Tinto? De ses mandats les plus excitants à ses meilleurs coups d’affaires, cette juriste d’expérience nous dit tout!
Cet article s’inscrit dans une série d’articles que Droit-inc consacre aux différents métiers du droit. Zoom sur les conseillers juridiques de grandes entreprises.

Diplômée d’un M.B.A., Administration à HEC (2000) et d’un baccalauréat en droit à Laval (1995), Me Marie-Christine Dupont est conseillère juridique depuis 15 ans. Elle exerce à titre de conseillère juridique principale au sein de la grande entreprise Rio Tinto.

Droit-inc: Pouvez-vous me présenter votre travail?

Me Marie-Christine Dupont est conseillère juridique principale au sein de la grande entreprise Rio Tinto
Me Marie-Christine Dupont est conseillère juridique principale au sein de la grande entreprise Rio Tinto
Me Marie-Christine Dupont : Nous sommes une équipe d’une dizaine d’avocats basés à Montréal, on est une centaine à l’interne dans le monde. La structure est assez « flat », c’est-à-dire qu’à l’exception de quatre General Counsel qui ont des responsabilités importantes, la hiérarchie entre les conseillers juridiques n’existe pas vraiment. Après, comme conseillère juridique principale, et même si je n’ai pas le titre de General Counsel, j’ai quand même des responsabilités qui équivalent les leur. Je suis responsable de deux divisions de Rio Tinto. D’abord, des services juridiques de Iron Ore Company of Canada ce qui comprend une mine de minerai de fer située au Labrador ainsi qu’un chemin de fer reliant le Labrador à Sept-Îles et des installations portuaires. Et je suis aussi responsable des services juridiques de la mine de diamants Diavik aux Territoires du nord-ouest.

Quels sont vos mandats au quotidien?

J’effectue un vrai travail d’avocat généraliste, je m’occupe de tout le secrétariat corporatif de ces sociétés détenues en joint-venture, je prépare les conseils d’administration, je travaille en lien avec divers sujets de droit : les aspects commerciaux, l’environnement, la régie d’entreprise, le droit autochtone, la santé, la sécurité. Je fais beaucoup de contractuel aussi, des contrats de vente, d’achats. Il y a beaucoup d’aspects en droit du travail aussi, j’ai des relations avec les stakeholders et les communautés autochtones pour des ententes ou des consultations. Je travaille avec la haute direction, l’équipe exécutive, le VP aux opérations, finances, RH…

Vous travaillez dans un groupe minier. Est-ce que le domaine dans lequel évolue l’entreprise était crucial pour vous au moment de prendre le poste?

Oui et non. À l’époque où je suis rentrée chez Alcan, en 2001, c’était un secteur en pleine croissance. J’ai commencé dans le domaine des fusions et acquisitions qui était très actif, je faisais beaucoup de corporatif, de développement des affaires. Puis mon rôle a évolué vers un travail de support aux opérations. Donc, pour répondre à votre question, ce n’est pas tant le secteur - Alcan est dans le manufacturier, la transformation - que la dynamisme du secteur qui m’a attirée.

Quelles différences notables constatez-vous entre la pratique en cabinet et celle en entreprise?

En tant que conseiller juridique, on va vraiment voir les affaires de l’entreprise. On est beaucoup plus proactif dans ce qu’on fait, on connaît intrinsèquement les individus ainsi que ce qui se passe à l’interne. On peut agir comme un catalyseur - notamment quand il faut trouver des solutions aux problèmes - ainsi que faire le pont avec d’autres départements. L’avocat en entreprise ne travaille pas en silo, je vais aller chercher les gens à l’interne pour résoudre un problème. Je connais tous les experts dans leurs domaines et je sais où les trouver. L’autre point important, c’est la gestion de priorités, il faut bien comprendre ce que les gens de la haute direction veulent, puis gérer et s’occuper des dossiers en fonctions des priorités de l’entreprise. Chez Rio Tinto, en ce moment, on parle beaucoup de la réduction des coûts, on se préoccupe beaucoup de l’amélioration de la gouvernance de l’entreprise. Évaluer les risques d’une prise de décision est aussi un sujet qui prend de la place.

Quelle a été l’évolution du métier de conseiller juridique ces dernières années selon vous?

Quand je suis arrivée chez Alcan, il y avait déjà un patron avant-gardiste qui avait déjà changé de façon de faire à l’interne. Nous n’étions plus dans le rôle de l’avocat qui attend de se faire poser une question pour agir mais dans celui d’un avocat pleinement impliqué dans la prise de décision et la gestion de risques.

Qu’est-ce que vous trouvez le plus excitant dans votre métier?

Je dirais que c’est de travailler avec des gens de partout dans le monde. J’ai beaucoup voyagé, pour des négociations en Chine, par exemple, ou encore j’ai effectué un mandat d’expatriation de deux ans à Paris où je m’occupais d’acquisitions partout en Europe. J’aime cet aspect international du travail. Maintenant que je suis près des opérations, j’ai acquis une expertise au niveau du business opérationnel et je suis en mesure de voir des solutions en-dehors du problème légal.

Quel est le meilleur coup de votre carrière?

Je dirais l’acquisition du leader français de l’aluminium Pechiney. C’était au début de ma carrière. Nous étions une petite équipe qui devait travailler fort. Il fallait obtenir les approbations réglementaires au niveau des autorités de la concurrence dans une quinzaine de pays à travers le monde, monter les dossiers, coordonner les demandes d’informations. Chaque pays a ses exigences. Ça a marqué mon début de carrière.

Que diriez-vous de la place des femmes dans la profession de conseillers juridiques en entreprises?

Les femmes conseillères juridiques sont très bien représentées, je n’ai pas de statistiques mais j’ai l’impression qu’elles sont presque en majorité. Après, personnellement, j’évolue dans le domaine minier qui est un monde très masculin. Quand je suis dans des réunions, je suis souvent la seule femme. Je n’ai jamais subi de discrimination et je n’ai jamais senti que l’on m’accordait moins de crédibilité. En plus, pour moi, être une femme dans un milieu d’hommes m’offre plus d’opportunités que de désavantages car il y a une tendance à promouvoir la femme. Dans un poste à candidature égale, on va plutôt choisir la femme pour qu’il y ait une meilleure représentativité.

Que conseillerez-vous aux jeunes conseillers juridiques qui voudrait se lancer dans une carrière en grande entreprise?

D’acquérir une bonne formation de base, une technique, un méthode de travail. L’entreprise ne fournit pas le meilleur cadre de formation pour un juriste junior. S’il débute en cabinet, il est après plus facile de faire transiter des bagages techniques en entreprise, j’entends par là de la rédaction de contrats, de mémos, de l’analyse. Un avocat en entreprise ne peut pas travailler comme un avocat en cabinet. Il ne peut pas, par exemple, répondre à une question avec un mémo de 10 pages. On doit aller droit au but, on ne peut pas faire une analyse détaillée, alors qu’en cabinet ils ont tendance à aller au fond de la question.

Est-ce qu’il a beaucoup de compétition entre conseillers juridiques?

Entre nous, à l’interne, non. Il y a beaucoup de collaboration. Dans le marché de Montréal des conseillers juridiques d’entreprise. oui. Car il n’y a pas beaucoup de postes ouverts et nous sommes nombreux à avoir de l’expérience. Il faut se distinguer au niveau de l’entreprise, de la qualité de service qu’on offre aux gens du business, aller au-delà des services juridiques. C’est bien d’acquérir des expériences diversifiées pour se distinguer. Le danger pour les conseillers juridiques, c’est la stagnation, être pris dans une boîte et ne pas pouvoir en sortir. Il est important d’évoluer dans de nouveaux dossiers, d’apprendre… Certains, ça leur convient d’être bien dans leurs pantoufles. Mais si quelqu’un veut évoluer, prendre des responsabilités et gravir des échelons, il est important qu’il fasse différentes expériences.
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