Un juge laisse la vie sauve à un pitbull
Jean-francois Parent
2018-04-06 10:15:00
Longueuil ne pourra pas la faire euthanasier, même si la pitbull a été jugée dangereuse par les fonctionnaires.
Trois chiens menaçants et des policiers craintifs
Quand les policiers de Longueuil se présentent au domicile de Thérèse Duquette, en juillet 2016, ils ont la surprise de découvrir trois chiens pitbulls particulièrement agressifs.
Ils étaient enfermés dans une des pièces de la résidence et excités par la rixe opposant Mme Duquette à son frère. C’est pour cette raison que les policiers ont d'abord été appelés. Ces derniers jugent que les chiens exhibent un comportement menaçant.
Pour les policiers, il y a là une « présomption de « chiens dangereux » susceptibles d’être saisis », en vertu de la réglementation municipale.
De plus, la municipalité limite le nombre de chiens à deux par résidence.
Le comportement menaçant de trois chiens pitbulls leur faisant sérieusement craindre pour leur sécurité, les policiers font intervenir le service du contrôle animalier local. Il faudra plusieurs heures à tout ce beau monde pour calmer suffisamment les chiens pour qu'ils puissent être saisis.
Madame réussit à récupérer deux de ses chiens, mais le troisième, la chienne Cassy est visée par une ordonnance d'euthanasie. En effet, le règlement prévoit que la Ville peut saisir et éliminer tout chien « dangereux ».
Saisie
Impossible pour Thérèse Duquette d'obtenir la main levée de la saisie de sa chienne. L’affaire se transporte devant la Cour municipale, qui a ordonné la libération de la pitbull le mois dernier. Mme Duquette était représentée par Me Julius Grey et Me Geneviève Grey, de Grey Casgrain. Et c'est Me Daniel Gauthier, du contentieux longueuillois, qui agissait pour la municipalité.
Au terme d'un jugement-fleuve de plusieurs centaines de paragraphes, le juge Pierre-Armand Tremblay ordonne ainsi la main levée de la saisie.
Le jugement, publié plus tôt cette semaine, cite de nombreux témoignages d'experts, des interrogatoires et contre-interrogatoires multiples, ainsi qu'une abondante jurisprudence.
Premier constat : il est possible de revenir sur la décision d’euthanasier un chien si plusieurs conditions sont remplies par sa propriétaire. Dans le cas présent, il faut le doter d'une micropuce, obtenir une licence, le vacciner et respecter quelques autres critères.
Certificat de non-dangerosité
Mais surtout, il faut qu'un vétérinaire puisse certifier que le chien n'est pas « dangereux ».
C'est là où le bât blesse, estime le juge, devant qui des experts ont témoigné que le degré zéro de dangerosité pour un chien « n'existe pas ».
Même si le comportement des chiens face aux policiers et aux spécialistes du contrôle animaliers ne relevait pas d’une « agression offensive ou de prédation. (…) il demeure qu’objectivement, le comportement des trois chiens était menaçant pour toute personne raisonnable qui se serait trouvée sur les lieux à ce moment-là », écrit le juge Tremblay.
Même les spécialistes ont eu peur des chiens, écrit-il.
Il reste que la jurisprudence est claire : dans plusieurs causes où des chiens ont commis des actes autant plus graves que Cassy, la Cour a ordonné qu'on remette le chien à ses maîtres.
Sans compter que « le pronostic exigé par la Municipalité (…) est scientifiquement impossible à établir. Les conditions exigées à cet égard sont donc objectivement inapplicables » écrit le juge au sujet de l'exigence réglementaire « d'une garantie d’absence complète de dangerosité ».
Parce que cette condition ne pourra jamais être réalisée, « cela a pour conséquence pratique d’empêcher tout citoyen d’obtenir une licence de pitbull ou de récupérer son animal saisi ».
Estimant que « le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes quant à l’interprétation de ses lois », le juge Tremblay tranche donc en faveur de Thérèse Duquette et lui permet de récupérer son chien.
Lécher les bottes du procureur
Il donne également le bénéfice du doute à Mme Duquette, même si elle avoue avoir voulu en passer « une petite vite » aux fonctionnaires municipaux lorsqu'est venu le temps d'enregistrer ses chiens.
Elle a même déclaré qu’elle respecterait scrupuleusement les conditions imposées pour ravoir son chien, ajoutant même « qu’elle était prête à lécher les bottes du procureur pour s’assurer de conserver Cassy avec elle », peut-on lire dans la décision.
« Le Tribunal n’est évidemment pas impressionné par la flagornerie. La défenderesse n’a pas démontré par le passé une préoccupation aussi insistante de son désir de respecter la réglementation municipale. »
Mais comme le tribunal « ne donne pas dans la futurologie », et « malgré une attitude condamnable par le passé quant à son désir de respecter les lois, il demeure que la preuve dans son tout montre une personne qui, du moins avec ses chiens comme tels, démontre des garanties raisonnables permettant de croire qu’elle assurera pour elle-même et autrui une responsabilité adéquate de Cassy en tant que maître ».
Cassy peut donc retourner chez elle. Et Longueuil réviser sa réglementation.