Article 107, loi du cannabis : l’illusion d’une panacée
Pierre Gagnon
2018-10-24 13:15:00
En cours d’étude du projet de loi 157, les députés y ont ajouté l’article 107. Celui-ci permet au locateur résidentiel de modifier un bail en cours d’exécution pour y ajouter l’interdiction de fumer du cannabis dans les lieux loués. Le propriétaire doit envoyer un avis en ce sens au locataire dans les 90 jours suivant l’entrée en vigueur de la Loi. Le locataire peut contester cet avis pour des «raisons médicales». Le cas échéant, le locateur doit faire une demande de modification de bail devant la Régie du logement.
La procédure à suivre est claire et simple; elle paraît inattaquable. L’inclusion de l’article 107 a été saluée par les principales associations de propriétaires, Néanmoins, comme pour bien d’autres questions reliées au louage résidentiel, la réalité est sensiblement plus nuancée.
Imprécisions
La Régie fournit dans son site web les explications pertinentes en la matière et rend disponible les formulaires d’avis applicables. Il convient de relever deux imprécisions dans les renseignements fournis.
D’abord, le texte explicatif soutient que le locataire peut s’opposer à la modification demandée pour des raisons médicales seulement (caractères gras dans le texte). Or, cette restriction n’est pas mentionnée à l’article 107. Ensuite, dans le formulaire de réponse du locataire, on écrit qu’une “prescription médicale” peut être requise, alors que cette exigence n’a pas été retenue par le législateur.
Par ailleurs, la jurisprudence récente de la Régie du logement bouscule quelque peu les certitudes en la matière. Au cours de la dernière année, à l’approche de la date prévue pour la légalisation, de nombreux propriétaires ont expédié, pour le renouvellement du bail, un avis de modification visant l’interdiction de consommer du cannabis dans le logement. Devant le refus des locataires, les contestations ont été soumises à une greffière spéciale de la Régie, compétente en l’espèce.
Dans une première décision de principe (affaire Cholette c. Cuellar), la Régie refuse la modification demandée. Essentiellement, le tribunal opine qu’une telle requête constitue en quelque sorte une demande en résiliation partielle - une sanction anticipée pour le locataire. Ce redressement peut être accordée seulement par un régisseur - et non par un greffier spécial - aux conditions de l’article 1863 du Code civil.
Sans en faire des motifs déterminants de sa décision, la greffière spéciale évoque également les droits conférés par l’article 6 (exigence de la bonne foi), 976 (acceptation des inconvénients normaux) et 1954 (jouissance paisible des lieux) du Code civil. Elle fait également référence aux principes généraux de la Charte des droits et libertés.
Il va sans dire que cette tendance jurisprudentielle remet en cause l’application quasi automatique de la procédure de modification exposée à l’article 107. Supposons tout de même que la modification demandée ait été accordée par le tribunal. En cas de non-respect de la nouvelle clause du bail, afin d’obtenir le départ du contrevenant, le locateur devra présenter une demande judiciaire en résiliation de bail fondée sur l’article 1863 précité.
St-Hilaire c. Dorion
Voici comment le tribunal de la Régie du logement - dans le dossier récent St-Hilaire c. Dorion - décrit le fardeau de preuve requis en cette circonstance :
«La résiliation du bail constitue une forte sanction. En cette matière, le Tribunal doit donc fonder son appréciation sur des considérations objectives et sur une preuve concluante, à la fois, sur les manquements allégués et sur le préjudice sérieux (italiques du soussigné) qui en découle. Il s’agit des deux éléments essentiels qui conditionnent le prononcé de la résiliation du bail. Le préjudice subi doit être au-delà des simples inconvénients et le comportement doit comporter un élément dérangeant qui est anormal, excessif en plus d’être fréquent, répété, continu ou persistant.»
Près de 40 % des Québécois sont locataires. Les enjeux entourant l’usage du cannabis dans les logements sont donc de portée majeure. Le fumage de la marijuana deviendra bientôt licite au regard des deux niveaux de gouvernement. On ne peut pas validement restreindre comme peau de chagrin l’espace dans laquelle cette activité peut s’exercer.
Lointaine est l’époque où l’on pouvait sommairement expulser un locataire qui ne faisait plus l’affaire. Le régime législatif en vigueur et le contexte social actuel favorisent le règlement des désaccords relatifs au bail résidentiel par le respect et le dialogue. Il convient donc que tous les paliers décisionnels facilitent une évolution harmonieuse des mentalités.
Il siège actuellement au conseil d'administration de l'Office d'habitation de l'Outaouais et il est régulièrement conférencier dans son domaine, notamment au dernier congrès de la CORPIQ, à Montréal et Québec.
Il a rédigé bon nombre d'articles et de commentaires juridiques portant sur le droit résidentiel, les assurances, les relations du travail et les droits de la personne. Il est notamment l'auteur (avec Me Isabelle Jodoin) du livre Louer un logement, 2e éd. (Éd. Yvon Blais, 2012).
Samuel
il y a 5 ansJ'invite l'auteur ainsi que le lecteur à se poser la question suivante : Est-ce qu'un article qui mentionne "Le fumage de la marijuana" comme description à l'usage du cannabis est à prendre au sérieux?