« Câlisse » de « trou de cul »!
Jean-francois Parent
2019-07-19 15:00:00
Au chapitre des jurons par contre, les deux sacres les plus populaires coiffent au poteau, et de loin, toutes les insultes et jurons proférés par les justiciables devant les tribunaux.
À l’aide d’une recension par mot-clés dans la base de données CanLII, Droit-inc a identifié les gros mots les plus fréquemment cités devant les tribunaux du Québec.
Criss de tabarnak
Ce sont les jurons qui sont, et de loin, les plus populaires parmi les justiciables.
Le mot « Câlisse » est ainsi utilisé plus fréquemment que l’ensemble de toutes les insultes réunies dans notre palmarès.
Avec 3 886 utilisations, il devance « Criss », répertorié 2 306 fois.
« Tabarnak », avec 444 occurrences, et « Estie » (ou son cousin « Hostie »), est présent 311 fois.
Quant aux injures, Droit-inc a dressé un palmarès des 10 plus populaires, utilisées 2 596 fois en tout.
Nous avons délaissé les vocables de type « Enculé », « Enfant de chienne » et « Gros criss », puisque leur fréquence, à moins d’une cinquantaine, est sans commune mesure avec notre Top 10.
Sexisme
On ne peut s’empêcher de relever un certain sexisme dans l’utilisation des injures. Notre analyse ne permet pas d’affirmer scientifiquement que les femmes sont plus insultées que les hommes, mais on remarque que les insultes lancées aux femmes sont celles qui reviennent le plus fréquemment.
Ainsi, alors que « Salope » est recensée 554 fois dans les décisions judiciaires, « Salaud » ne revient que 76 fois.
L’expression « Criss de folle » apparaît 146 fois, tandis que son pendant masculin, « Criss de fou », est attribué seulement 14 fois à des justiciables.
Au total, 42 % des insultes recensées dans notre Top 10 sont lancées à des femmes : « Salope », « Grosse vache », « Putain » et « Criss de folle » sont les plus courants.
Un florilège
Dans la décision Saint-Pierre contre Chouinard, rendue aux petites créances l’an dernier, la demanderesse poursuit le défendeur et lui réclame 10 000 dollars parce qu’elle lui reproche de l’avoir injuriée sans motif et sans droit en la traitant de « grosse tabarnak de vache » devant une quinzaine de personnes.
Le Tribunal conclut que la « preuve prépondérante » établit que la demanderesse a été traitée de « grosse tabarnak de vache », mais comme ce n’est pas toute l’assemblée qui a entendu les propos leur portée était donc limitée et le tribunal accorde finalement 500 dollars.
Criss de fou
Une chicane de clôture à Québec s’est retrouvée en cour municipale, l’an dernier. Un voisin tente d’obtenir que sa voisine garde le calme, alors que la voisine filme sans cesse son voisin qui passe la souffleuse à neige trop près du terrain de sa voisine. Parmi les paroles prononcées on retrouve : « Gros crisse de fou, mon gros tabarnak, ça va être ton année, on va t'organiser ça nous autres ». Le tribunal est d’avis que la voisine avait raison de s’énerver, et enjoint au voisin de cesser de passer la souffleuse près du terrain de la voisine.
Salaud
C’est du côté du conseil de discipline que l’on retrouve la plus intéressante occurrence, alors que Barreau du Québec c. Galletta, en 2008, s’attaque à une plainte disciplinaire issue d’un conflit professionnel entre deux avocats. Ainsi, Me Galette a été reconnu coupable d’avoir manqué à ses devoirs d'agir avec dignité, respect, modération et courtoisie. Il a ainsi invectivé un certain Me Jarry, en lui disant, sur son répondeur, « t'es vraiment un osti de salaud » et « vous êtes le pire des escrocs que je connais(se) ».
Quant à « Salope », qui figure en tête de notre palmarès, on le retrouve à toutes les sauces : en droit de la famille, alors qu’un conjoint dit à sa femme que de la « traiter de chienne ou de salope est un fait… Et non une menace » ou encore à la Régie du logement aussi, alors qu’un concierge d’immeuble témoigne « que certains locataires l’ont vu uriner sur la galerie, sauter de balcon en balcon, il a traité de salope deux jeunes filles de l’appartement 208, il a qualifié les habitants du 106 de fatiguant et de retourner dans leur pays, il pioche dans les murs et dérange les habitants du 305 et 368 ».
Trou du’c
Il semble particulièrement populaire en droit administratif, alors qu’on retrouve souvent l’insulte dans des conflits de travail. Comme à Laval, dans Laval (Ville) c Syndicat des cols bleus de la Ville de Laval, où un employé conteste son congédiement. « M. Perreault a alors commencé à invectiver les superviseurs (…) en les taxant d’être une « bande de caves ». Il a ensuite visé en particulier Benoît Gravel qu’il a traité de «trou de cul », de « chaudron », « d’incompétent » et de « licheux de cul à Vaillancourt » en le pointant du doigt de façon agressive ».
Homophobie et racisme
Environ 15 % des insultes de notre palmarès sont à caractère homophobe. Ainsi, l’insulte « Tapette » est fréquemment employée dans des contextes de travail. Dans Union des Employé(e)s de la Restauration c HMS-Host, portant sur du harcèlement en milieu de travail, on relate qu’une personne « n’avait cesse de lui susurrer à l’oreille des commentaires méprisants, devant les clients, par exemple qu’il était «incompétent, un petit pénis... un fifi... une tapette sans couilles ».
Quant à « Fifi », employé 173 fois, il est parfois invoqué dans des situations pour le moins saugrenues. Par exemple dans T.B. et Responsable du CSSS A, plaidé devant le Tribunal administratif. On y apprend que « les policiers notent au même rapport que (…) l'accusé affirmait qu'il allait recommencer des agressions sur les femmes, car ces dernières le traitent de « fif » et de « ''tapette'' » et qu'elles se téléphonent entre elles avec leurs cellulaires « ''pour le traiter de noms'' ».
Le racisme par contre ne semble pas se manifester outre mesure dans les insultes. Il est vrai que « Nègre », utilisé plus de 200 fois, soit 8 % des insultes de notre palmarès. On retrouve l’insulte en droit du travail, comme lorsqu’un employeur aurait prétendument lancé qu’un « ostie de nègre est en train de salir toutes mes affaires ».
Les insultes envers les gens originaires du Moyen-Orient sont cependant plutôt rares, alors que « Estie », « Criss » ou « Câlisse d’arabe » revient moins de 20 fois dans notre recension, ce qui explique son exclusion du palmarès. Cependant, l’invective est souvent associée au terrorisme, comme on peut le lire dans R. c. Tremblay, alors que le juge rapporte que « le témoignage de monsieur Elkholy révèle que monsieur Tremblay l’a traité de terroriste et « estie d’arabe ».